Mutazilisme

Association pour la renaissance de l'islam mutazilite (ARIM)

Catégorie : Comptes-rendus (Page 1 sur 2)

Face à une guerre sainte, de Sylviane Agacinski

Couverture Face à une guerre sainte (photo: D.R.)

Face à une guerre sainte de Sylviane Agacinski, est un ouvrage qui traite du rapport entre religieux (islamique essentiellement) et politique. Il relève de l’esprit du temps, marqué par une forme d’inquiétude vis-à-vis de l’islam et de son inscription dans la société européenne en générale, et française en particulier.

Un parti pris gênant

Que l’on ne s’y trompe pas, Sylviane Agacinski s’est renseignée sur l’islam, mais sa connaissance reste parcellaire et le plus souvent orientée. Raison pour laquelle elle est tombée dans un certain nombre de biais de raisonnement un peu gênants, comme le fait de de ne voir que ce qui arrange son anxiété. Ainsi par exemple, lorsqu’elle dénonce le financement de mosquées en Europe par la Ligue islamique mondiale (LIM), organisation saoudienne et principal organe de diffusion du salafisme dans le monde jusque-là ; jusqu’au retournement brutal de Mohamed Ben Salmane, le prince héritier et futur roi saoudien, qui souhaite moderniser son royaume à coup de marche forcée. Bien que nous soyons ravis de ce retournement de fortune qui touche le centre névralgique du salafisme, nous restons méfiants vu comment cela se fait, et par qui.

Sylviane Agacinski en 2008 (photo: wikimedia commons)

L’autrice donc, Sylviane Agacinski, donne des chiffres sur les financements de la LIM, mais jusqu’en 2016 uniquement. Pourtant, elle ignore (vraiment ou feint de le faire ?) que la LIM a cessé de financer les organisations religieuses depuis le début de l’année 2020 sous l’impulsion du prince héritier dont nous venons de parler. Donc, contrairement à ce qu’elle laisse penser, cette politique a cessé. L’autrice se montre proche des thèses dites « laïcardes. » Ainsi, elle disqualifie l’idée d’islamophobie, terme accusé d’être un concept islamiste permettant d’attaquer tout discours critique de l’islam (et peu importe si sa théorisation date de 1910 par des sociologues coloniaux). Elle fait non seulement du voile un marqueur islamiste, mais aussi la marque de la soumission des femmes, la preuve ? Elle ne la tire pas du Coran ou des propos prophétiques, dont elle reconnaît l’ambivalence, mais de chez …Saint Paul. Car pour elle, le voilement, qui est la marque de l’infériorisation des femmes, existait avant l’islam et ne lui est donc pas propre (ce qui est juste).

L’islam, représentant du patriarcat

Mais pour elle, cela montre que la théologie islamique a emboité le pas de la théologie chrétienne, puisque toutes deux sont marquées par la patriarcat. Elle montre que pour Paul, le voile était bien la marque de la soumission des femmes aux hommes, elle le cite: « Non, un homme n’est pas tenu de se couvrir la tête, étant image et gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l’homme. L’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme de l’homme, et l’homme n’a pas été créé à cause de la femme, mais la femme à cause de l’homme. La femme est donc tenue de porter sur la tête un signe d’autorité… » (Paul, 1 Corinthiens 11, 7-10, p. 114-115 du livre de Sylviane Agacinski). En même temps, l’autrice ne laisse jamais entendre la voix de celles qu’elle incrimine, ce qui est très dommage, mais montre aussi son parti pris.

Cependant, le livre de Sylviane Agacinski reste intéressant, parce que l’on sent une véritable interrogation, et parfois, des réflexions nuancées et pertinentes, mais qui ne l’emportent pas sur l’anxiété qu’elle éprouve devant le risque de perte d’identité de la civilisation européenne. Comme si l’islam ne pourra jamais être considéré comme un fait social européen. Ce qu’il est déjà, à condition de regarder ailleurs en Europe, dans les pays des Balkans notamment, où l’islam est présent depuis des siècles, et parfois même majoritaire ou a grandes minorités (comme en Bosnie, en Albanie, au Kosovo, en Macédoine, en Bulgarie etc.)

Les nouveaux Nomades de Félix Marquardt

Félix Marquardt, Les nouveaux nomades, la revanche d’Abel, Éditions Le Passeur, 336 p.

Partir, rester, migrer, revenir ? Si notre activité humaine est marquée par le mouvement, cette problématique prend une importance particulière dans notre époque, celle des changements continus. Félix Marquardt, lui-même parfaitement représentant de ce dynamisme, s’est attaqué à cette question dans son livre: Les nouveaux nomades, la revanche d’Abel.

Un mouvement spatial…
Dans ce livre, l’auteur porte son regard sur la figure des « nouveaux nomades ». À savoir ce type de personne originaire d’une région du monde et qui se retrouve, pour des raisons professionnelles ou personnelles, à vivre et à faire, loin de chez lui. Ainsi de la figure d’ Abderrahmane « Abdi » Diabaté, originaire du Mali et qui se retrouve à travailler dans une grande ferme de Redneck dans le fin fond du Montana aux États-Unis. Ainsi aussi de Natsuno Shinagawa, originaire de la région de Tochiji au Japon, passionnée par le continent africain, elle se retrouve à travailler à l’ambassade du Japon à Dakar au Sénégal. Ou encore de Jamie d’Australie, qui quitte son île continentale natale pour Londres afin de vivre sa vie en conciliant sa foi musulmane et son homosexualité de façon harmonieuse. Si le livre regorge d’exemples de personnes originaires de tous les continents et allant dans d’autres continents, parfois dans le sens Sud-Nord, mais aussi, Nord-Sud, voir Sud-Sud ; l’enjeu et l’intérêt de l’ouvrage de Félix Marquardt n’est pas dans les récits, pourtant toujours très instructifs et vivants, mais plutôt dans la grande leçon que l’on peut tirer de tous ces mouvements: les rencontres, les échanges, parfois entre des personnes a priori incompatibles. Et qui pourtant, s’avèrent très fertiles.

Ainsi de Abdi le Malien, qui se trouve accueilli dans le ranch de Cooper Sieben. Pris en main par Aaron, chef mécanicien du ranch, homme amoureux de la musique country et de Donald Trump. Abdi va pourtant se rapprocher de cet homme et avec qui il se liera d’amitié. Comme il le fera avec Jeff Soely en charge du cheptel de 1500 tête de bétail, aussi conservateur que Aaron, et amoureux de Trump comme lui. Et pourtant, là encore, la rencontre de Abdi le Malien avec ces Rednecks n’empêchera ni l’échange, ni le rapprochement, ni même l’amitié sans que l’un ne renonce à ce qu’il était auparavant.

…reflet d’un mouvement de la conscience

Et c’est sans doute là l’enjeu du livre de Félix Marquardt ainsi que sa « plus-value ». L’auteur nous montre que le mouvement est divers dans sa nature et qu’il n’est en réalité, pas uniquement géographique. En effet, non seulement Abdi (par exemple), quitte son pays et son continent, mais il sort ainsi de son monde, du confort que la connaissance des codes de sa société, de ses coutumes, langues etc. lui octroyait pour entrer dans un nouveau. Le déplacement n’a pas été que spatial, c’est aussi un effort de mouvement hors de soi. De même, Aaron et Jeff, nos deux Rednecks américains, ont du « sortir » de certaines de leurs appréhensions, faire des efforts pour faire une place à un nouveau venu d’un monde radicalement différent. Eux aussi ont du faire un effort pour aller au-delà de soi. Et c’est cet effort partagé, des uns et des autres qui s’avéra, in fine, fructueux.

Félix Marquardt @Feleaks Twitter (Photo: D.R.)

par conséquent, la plus grande rencontre que cet ouvrage décrit est celle qui mène à nous-mêmes en passant par l’effort d’ouverture véritable à l’autre, non pas l’autre moi (alter ego), celui avec qui je partage déjà les valeurs, la vision du monde, le point de vue etc. mais l’autre véritable, qui voit les choses autrement, pense autrement, vit autrement. Or cette découverte de l’autre, ne se trouve pas forcément à des milliers de kilomètres de chez soi, mais parfois juste en face. Félix Marquardt pousse les lecteurs à Franchir les différentes barrières (géographique, culturelles, politiques, et religieuses…) qui peuvent les séparer pour rencontrer l’autre et se rendre compte à quel point toutes les réalités sont liés.

Nous vivons sur une seule et même planète que nous partageons et dont les événements finissent par se répercuter les uns sur les autres. C’est pourquoi l’auteur ne perd jamais de vue les enjeux écologiques, culturels, et même géopolitiques de tous les mouvements dont il traite.

Au-delà des différences, Les nouveaux nomades est un livre qui montre à quel point nous vivons dans une interdépendance et que parfois, pour être nomade, il n’est pas nécessaire de quitter son chez soi physique, mais plutôt le confort souvent trompeur de ses propres représentations.

La conspiration du Caire

 

La conspiration du Caire (titre original : Walad min al-Jenna ‘un garçon du paradis’), film de Tarik Saleh

C’est l’histoire d’un jeune fils de pêcheur égyptien pauvre, qui décroche une bourse pour aller étudier dans la prestigieuse université religieuse (sunnite) de la capitale de son pays, Al Azhar. Toutefois, une fois sur place, Adam (joué par l’impressionnant Tawfeek Barhom), le jeune boursier, se trouve pris dans les intrigues qui suivent la mort du cheikh, grand imam de la grande institution.

Le jeune Adam (Tawfeek Barhom) photo: D.R.

Le film pointe les projecteurs sur un domaine peu connu du grand public, y compris musulman. Le Jeune Adam, contre son gré, se trouve pris au piège de la lutte entre factions qui convoitent le contrôle d’Al Azhar : faction pro-gouvernementale, islamiste, mais aussi, indépendante. Entre les mâchoires des différents protagonistes, le jeune Adam est avalé, digéré et recraché à plusieurs reprises. À chacune de ses sorties de digestion, le jeune étudiant se trouve transformé, moins innocent, plus conscient du monde dans lequel il évolue, et certainement, moins innocent.

Le colonel Ibrahim (Fares Fares) briefant le jaune Adam (tawfeek Barhom) (photo : D.R.)

Il faut noter que, outre le héros du film, certains personnages méritent d’être mentionnés tout spécialement. Ainsi de la figure ambiguë du colonel Ibrahim (joué par le célèbre Fares Fares apparu dans Sécurité rapprochée ou encore Rogue One : a Star War story) de la Sûreté d’État. Manipulateur, manipulé, sympathique et menaçant tout à la fois, il montre le visage d’un fonctionnaire tourmenté entre fidélité au régime, et pris de conscience, surtout après ses échanges avec l’un des religieux d’Al Azhar, le cheikh Nejm (Makram Khoury), cheikh aveugle représentant de la faction indépendante et populaire des religieux d’al-Azhar. De même que le camarade de chambre d’Adam, le jeune « branché » Raed (très bien joué par Ahmed Lassiaoui), fumeur de cigarettes, au T-shirts rock, abhorré par les élèves les plus conservateurs, mais récitateur du Coran hors-pair. Le film dresse une galerie de portraits complexes et nuancés.

Le jeune Raed, condisciple d’Adam (Ahmed Lassiaoui) (photo : D.R.)

En outre, le film montre tout à la fois la tartuferie de certains hiérarques, le poids de la lutte politique qui s’insinue dans tous les milieux, y compris religieux. Mais le film, peut-on vraiment le lui reprocher, ne condamne pas explicitement le régime militaire égyptien, mais en laisse deviner la cruauté et la criminalité dans certaines images subtiles, surtout celles montrant des flaques de sang sortirent de dessous les portes des cellules de la Sûreté. Et c’est peut-être là que le film apporte une plus-value particulière, à savoir la réalité avec laquelle doivent composer les Égyptiens, mais aussi tous ceux qui vivent dans ce type de régime, au détriment de tout type d’idéalisme, soit-il religieux, comme finiront par l’apprendre plusieurs personnages du film, Adam non des moindres. Un film passionnant.


Mutazilisme, violence et guerre

 

En ces temps incertains où la guerre fait rage à nos portes (en Ukraine), et où la menace d’un troisième conflit mondial n’est pas écartée. Il m’a semblé pertinent, pour notre cercle de discussion d’aujourd’hui, d’évoquer la question du rapport entre le mutazilisme, la violence et la guerre. Non seulement parce que l’actualité nous donne l’opportunité d’interroger cette notion, mais aussi et surtout, parce que l’une des choses les plus connues sur le mutazilisme, est l’imposition d’un examen de conscience (mihna), une épreuve potentiellement violente, contre les clercs qui n’admettraient pas que le Coran était créé. De là, il n’est pas rare d’entendre que les mutazilites ont voulu imposer leur croyance par la force non seulement à ces fameux clercs, mais aussi, au peuple dans son ensemble, attribuant ainsi une réputation sulfureuse qui consiste à faire du mutazilisme un courant rigoriste et exclusiviste. Et pourtant, est-ce que cette accusation est fondée ? Que dire de cette mihna, mais aussi du rapport entre le mutazilisme et les autres communautés religieuses islamiques ou non. Nous verrons que l’origine du mutazilisme profondément marquée par une sensibilité intra-islamique jouera un grand rôle sur la manière que les mutazilites penseront leur rapport avec autrui. De même, nous verrons que la mihna n’a pas été menée contre un groupe religieux précis, mais pour l’établissement d’un terrain commun d’entente public. Enfin, nous verrons comment le mutazilisme par son ouverture d’esprit n’a jamais fermé la porte à aucun groupes religieux et qu’il a toujours aspiré à l’unité des musulmans, voire davantage sans vouloir imposer quoi que ce soit.

L’origine politique

(image D.R.)

Reconstitution de la ville de Bagdad telle que conçue à son origine en 762

Et pourtant, beaucoup d’éléments dans l’histoire du mutazilisme tendent à prouver, qu’à l’inverse de sa réputation, le mutazilisme a été l’un des courants les plus ouverts de l’islam. Sans que cela veuille dire pour autant, qu’il n’y a jamais eu d’accrocs, d’excès, voire même de violence. Mais qu’il y ait eu possibilité d’épisodes excessifs, ce n’est pas la même chose que de dire qu’en lui-même, le mutazilisme est porteur d’exclusivisme et de détestation de l’autre. L’une des raisons possibles à cela peut être retracée dans l’origine possible du mouvement lui-même. Ainsi, rappelons que mu’tazilaest le participe du verbe i’tazala, qui veut dire, s’isoler, se séparer, se tenir à distance. La première mention de ce nom dans les chroniques, le fait apparaître à l’occasion du premier conflit armé entre musulmans lors de la bataille dite du Chameau, entre Ali d’une part et Aïcha et deux compagnons du prophète (Talha b. Ubeyd Allah et al-Zubayr b. al-Awâm, et qui y trouveront la mort) de l’autre. Des chroniques évoquent alors l’attitude de certains des Compagnons du prophète de son cercle proche, comme Sa’d b. Abî Waqqâs, Abdullah b. Omar, Al Ahnaf b. Qays et d’autres ; qui refusèrent de prendre parti. C’est eux les premiers qui furent appelés « mu’tazila ». Ainsi, la première mention du nom de ce groupe ne fait pas référence à une théologie quelconque, mais bien à une attitude politique. Comme cela sera le cas plus tard, au moins à l’origine, pour toutes les autre écoles et obédiences musulmanes. Et cette politique consiste en une attitude de neutralité dans les conflits internes aux musulmans même s’ils reconnaissaient qu’un des partis avait sans doute tort, ils affirmèrent que cela ne devait pas permettre pour autant de faire couler le sang d’autres musulmans.

Classiquement, on attribue au théologien Wâssil b. Atâ (699-748) la paternité du mutazilisme. Or, selon les travaux de l’arabisant et spécialiste de la théologie musulmane, l’allemand Josef Van Ess, à l’époque de Wâssil, la dénomination mutazilite était déjà bien connue et établie. En gros, pendant la période probable de sa pleine activité, soit entre 720 et sa mort en 748/9, soit la toute fin de l’époque Omeyyade, les mu’tazila étaient déjà connus. Et Wâssil, plutôt que l’initiateur, a été le maître de l’école durant cette période. Il a été le premier à rédiger un travail sur les usûl al-fiqh (fondements de la théologie pratique), sans doute a-t-il été aussi le premier à formaliser les principes, même si à son époque, on parle de quatre principes, et pas encore cinq. Mais Wassil a surtout été le premier, apparemment, à organiser un système de da’wa, de missions, en envoyant des représentants de l’école aux quatre coins du monde musulman. Parmi ces missionnaires, mentionnons le nom de Abdullah b. al-Hârith qui fut envoyé au Maghreb, et Othmân al-Tawîl, envoyé en Arménie où on dit qu’il réussit à convertir 3000 personnes. Pour toutes ces raisons, Van Ess dira que Wâssil est le véritable fondateur de l’École, en ce sens, qu’il aura joué un rôle fondamental dans sa structuration et dans sa transformation en véritable pôle théologique avec une structuration, une pensée formalisée et organisée et une action militante efficace. Avant Wâssil, le mutazilisme est une sorte de mouvement connu, mais qui semble surtout qualifié une attitude de retrait dans les conflits intra-islamiques, sans autre forme de spécification. Ce n’est qu’avec Wâssil, que le mutazilisme s’enrichit d’une pensée active et d’une structure véritable. Pour les historiens mutazilites, Wâssil a été le disciple de Hassan al-Basri, mais aussi et surtout d’Abû Hashim b. Muhammad b. al-Hanafiyya. Abû Hâshim a été le disciple de son père (Muhammad b. al-Hanafiyya donc), lui-même disciple de son père, l’imam Ali b. Abî Tâleb (as/kaw), cousin, gendre et premier pupille et disciple de notre bien aimé prophète Muhammad (sawas). Soit à partir de l’imam Ali qui est la première génération (puisque tout part du prophète sawas) ; Muhammad b. al-Hanafiyya à la deuxième ; Abû Hâshim à la troisième ; et donc Wâssil à la quatrième génération de mutazilites. Il en est même à la tête.

La question de la mihna (l’Épreuve)

Représentation de l’épée légendaire al-Samsâmah (Fendeuse) du calife al-Wâthiq (illustration : D.R.)

Wâssil meurt en 748, juste avant la prise de pouvoir des Abbassides. Toutefois, il aura eu le temps d’assister à la prise de quelques califes Omeyyades partisans de l’Unicité et de la justice de Dieu. Le premier, vécut avant Wâssil, il s’agit de Mu’awiyya II qui ne régna qu’une quarantaine de jours en 683 ou 684. S’il règne aussi peu, c’est parce qu’il s’était engagé à mettre fin à la guerre entre Omeyyades et Abdallah b. Zubayr, un compagnon qui s’était proclamé calife en Arabie occidentale (La Mecque et Médine notamment). Face à son échec, Mu’awiyya II abdiquera alors qu’il n’est pas âgé de vingt-cinq ans. Le deuxième, est Umar b. Abdelazîz qui ne garde le pouvoir qu’un an et demi. Figure emblématique de la sagesse religieuse, l’une de ses réalisations les plus durables, jusqu’à nos jours, est le fait d’avoir interdit la malédiction adressée en chaire tous les vendredis dans les mosquées contre l’imam Ali et sa famille. Il demandera que l’on remplace ces malédictions, mises en place au temps des premiers califes Omeyyades, par un verset coranique. Là encore, comme avec Mu’awiyya II, la volonté de rapprochement avec les autres musulmans. Les chiites, ennemis acharnés des Omeyyades ne s’y tromperont pas en voyant en Umar II, un des rares Omeyyades qu’ils respectent. Voulant réduire le train de vie de sa propre famille et de l’aristocratie, il mourra empoisonné moins de deux ans après avoir pris le pouvoir. Notons au passage, qu’il nommera avant sa mort une personne pour récupérer les fonds publics détournés par sa famille (les Omeyyades) en confisquant des biens et en les vendant. Le clan Omeyyade s’empressera d’exécuter le pauvre « commissaire-priseur » de sinistre manière après la mort de Umar II. Cet homme nommé par le calife, n’était autre que Ghaylân al-Dimashqî, ancien élève de Hassan al-Basri mais aussi de Hassan b. Muhammad b. al-Hanafiyya (tiens, tiens ! voire plus haut). Le dernier calife Omeyyade mutazilite a lui aussi très peu régné, il s’agit de Yazîd III, dit le Réducteur, à cause de l’abaissement du traitement de l’armée qu’il a fait passer, mais meurt six mois après le début de son règne en 744. A ce moment-là, l’empire Omeyyade était déjà sur le déclin, et les révoltes dans ses périphéries nombreuses.

C’est d’ailleurs l’une de ces révoltes qui s’est transformée en révolution. En 750, une véritable révolution suivie de l’élimination de la dynastie régnante, installera au pouvoir une nouvelle Maison, de la famille du prophète, et de son oncle al-Abbâs pour être précis. C’est en effet cette année-là qu’arrive au pouvoir la dynastie Abbasside. Certains historiens mutazilites prêtent une adhésion au mutazilisme des premiers califes de cette dynastie. Selon ces derniers, nous pouvons distinguer deux périodes mutazilites : la première avec les trois premiers califes, à savoir al-Saffâh (m.754), al-Mansûr (m. 775) et al-Mahdi (m. 785), après un intermède de trois califes non-mutazilites (al-Hâdi, Harûn al-Rashîd, et al-Amîne) ; vient au pouvoir une deuxième période de califes mutazilites, al-Ma’mûn (m. 833), al-Mu’tassim (m. 842) et al-Wâthiq (m. 847). Les particularités de ces deux périodes, est que la première a consisté en une phase de mise en place et une consolidation du pouvoir abbasside, ainsi que la mise en place d’une véritable politique culturelle ambitieuse avec l’instauration de la Maison de la sagesse (bayt al-hikma). Puis, dans une deuxième phase, qui sera particulièrement l’œuvre d’al-Ma’mûn, une accélération dans le volet culturel, et surtout, une tentative de dégager le domaine légal et juridique de l’emprise des religieux pour le placer sous le contrôle de l’État. Comment al-Ma’mûn s’y est-il pris ? Il a voulu faire reconnaître par toute la classe religieuse, qui était aussi celle des juristes et des représentants de la loi et donc de l’État, que le Coran était créé. Ce point de doctrine religieuse est loin d’être la spécificité du mutazilisme, puisque les chiites, et les ibadites le reconnaissent aussi. Mais en faisant cela, le calife demandait aux hommes de loi de reconnaître que le Coran, produit au milieu des hommes avec prise en compte du contexte, des moyens de l’époque etc. n’était pas la perfection que semble vouloir insinuer l’idée du Coran incréé. Si le Coran est incréé, cela voudrait dire qu’il serait une sorte d’incarnation du divin sur terre, soit une matérialisation de Dieu parmi nous. Ce qui pose toute une série de difficultés facilement identifiables. C’est la raison pour laquelle les théologiens protestants dénomment cette pratique « l’inscripturation » (incarnare et scriptura). Mais dire que le Coran est créé, c’est impliqué qu’il doit être parfait. Mais par quoi ? Par la raison humaine. Le calife al-Ma’mûn a voulu faire en sorte que ce soit le calife qui tranche sur les questions légales et juridiques. Et non les religieux, puisqu’en disant que Seul Dieu devait gouverner à travers les sources du droit, ils étaient les seuls à pouvoir décider de ce que Dieu disait. Or, à travers, la diversité des écoles, la diversité des approches, des connaissances et des représentations, la loi était en vérité diverse. En centralisant la source du droit dans l’institution califale, al-Ma’mûn a voulu rapatrier le droit sous l’égide de l’État et le retirer des religieux. Pour ce faire, il a soumis tous les maîtres, enseignants et juges (qudât, sing. qâdi) à la question du Coran créé. Permettant à ceux qui le reconnaissaient de continuer leurs enseignements (et donc la formation des futurs juristes). Il faut reconnaître qu’à cette occasion, des personnages plus ou moins importants, plus ou moins connus, purent être battus, emprisonnés, ou le plus souvent, retirés de leurs charges d’enseignement. Comme cela a été le cas avec le traditionniste Ahmed b. Hanbal (m. 855), qui a été interrogé par le calife al-Mu’tassim, pourtant pas le plus enthousiaste à maintenir cette politique de la mihna (l’épreuve). Donc, contrairement à ce qui peut se dire jusqu’aujourd’hui, les califes n’ont jamais voulu imposer le mutazilisme aux gens, et certainement pas à l’ensemble du peuple. Mais ils ont voulu faire reconnaître un point de doctrine aux gens de pouvoir pour faire reconnaître la centralité de l’État. C’est sans doute la raison pour laquelle l’arabisant et spécialiste du monde musulman André Miquel voit dans la politique d’al-Ma’mûn la première tentative de laïcisation de l’histoire. Mais en aucune manière, il n’a été question d’une inquisition à l’instar de ce que connaîtra l’Espagne ou le Portugal des siècles plus tard. Évidemment, il y eut des épisodes malheureux, comme sous al-Wâthiq, calife très zélé, qui n’a pas hésité à faire preuve d’une certaine rigueur. Ainsi, les chroniques rapportent qu’il aurait exigé des prisonniers musulmans échangés contre les prisonniers chrétiens byzantins, que les musulmans crient sur le pont de l’échange (une sorte de Checkpoint Charlie avant l’heure) que le Coran était créé, sans quoi ils devaient rester prisonniers des byzantins. Plus grave, et malgré les efforts du juge suprême (qâdi al-qudât), le mutazilite Ahmed b. abî Du’âd (m. 854), al-Wâthiq condamnera à mort un traditionniste célèbre de l’époque, al-Khuzâ’i, et il exécutera lui-même la sentence avec son épée légendaire des Arabes, al-Samsâmah (Fendeuse). Mais cette période n’a pas empêché les autres religions de continuer d’évoluer normalement dans l’empire, et tous furent respectés comme d’habitude. Seule la classe des détenteurs d’autorités musulmans, ont été interrogés.

Un mouvement transversal

(Photo: wikimedia commonsGrande mosquée de Kairouan en Tunisie, dont la structure actuelle remonte à l’époque Aghlabide

Sous les Aghlabides en Ifriqyya (Tunisie actuelle plus quelques pans de l’Algérie et de la Libye) ; les émirs de la dynastie, mutazilites et de rite hanafites, ont alternés les qâdi al-Qayrawân, juge de Kairouan, équivalent du qâdi al-qudât dans l’Orient. Nommant tantôt un juge sunnite malikite, puis un juge mutazilite hanafite et ainsi de suite. Parfois, ils nommèrent deux juges en même temps, un de chaque tendance. Notons que le seul cadi de Kairouan qui se montra « obscurantiste » était le seul encore connu de nos jours, l’imam Sahnûn (m. 854). Dès qu’il prit la place de grand cadi, il fit arrêter son prédécesseur mutazilite, Ibn abî al-Jawâd et le fit systématiquement torturer jusqu’à ce que mort s’en suive. Sahnûn avait été nommé par le seul émir aghlabide sunnite malikite, Abû-l-Abbâs Muhammad I (m. 856). La région était alors partagée par plusieurs obédiences musulmanes : à côté des sunnites malikites et des mutazilites hanafites, il y avait des sunnites hanafites, mais aussi des kharijites de plusieurs tendances, notamment des suffrites et des ibadites. Des chiites zaydites dans le Maroc actuel ; c’est à cette époque qu’apparurent les premiers groupes chiites ismaéliens. C’est parmi l’un de ces groupes ismaéliens, la tribu berbère des Kutamas que les Aghlabides seront vaincus et remplacés par la dynastie Fâtimide.

Au final, que ce soit les Abbassides en Orient (Machrek) ou les Aghlabides en Occident (Maghreb) ; il n’y a aucune trace de tentative d’écrasement des autres groupes religieux ou d’imposition du mutazilisme. Bien au contraire, les maqâmât (cercles de discussions) semblent avoir été la règle. D’ailleurs, les débats n’ont manqué ni à Bagdad ni à Kairouan. Débats avec les traditionnistes (sunnites), mais aussi avec les chiites de tout type et les kharijites. Fidèles à la tradition mutazilite de neutralité, allez, osons l’anachronisme, à une forme d’œcuménisme islamique. Au Maghreb, les mutazilites ont souvent été associés aux kharijites, là-bas, ils étaient appelés « wassilites ». Ils favorisèrent l’installation d’un rescapé alide autour de Volubilis où celui-ci, Idris Ier, de confession zaydite (donc très proche du mutazilisme) eut le soutien du chef mutazilite de la tribu berbère des Awriba, Abû Layla Ishâq b. Muhammad b. Abdelhamîd (m. 808), pour fonder sa ville de Fès. Ils permirent à d’autres d’exercer la plus haute fonction religieuse comme nous l’avons déjà dit. En orient, le calife al-Ma’mûn avait nommé le chef de la Maison alide, et maître spirituel des chiites de son temps, l’imam Ali al-Ridâ comme successeur. Mais ce dernier a sans doute été tué avant (bien qu’il ait été plus vieux que le calife). Al-Ma’mûn avait même adopté la couleur verte des Alides pour mettre fin à l’opposition chiite-sunnite.

 

Même en dehors de l’islam, les mutazilites ont beaucoup débattus et récusés des croyances et des visions, notamment chrétiennes, de Dieu. Sans que cela ne se transforme jamais en persécution des minorités. Le cadi Abdeljabbar al-Hamadhani (m. 1025), cadi célèbre sur une grande région de l’Iran actuel regroupant des cités comme Rayy (environs de Téhéran actuel), Ahwâz, Romhurmuz jusqu’à la limite de l’Irak dans le Khûzistân actuel, n’a cessé de débattre avec les chrétiens nestoriens et jacobites notamment. Mais le mutazilisme jouera un rôle important dans l’histoire de la pensée juive, puisqu’il influencera de façon décisif un groupe qui à l’époque médiéval constituait jusque-là moitié des juifs de l’époque, à savoir le karaïsme. En effet, des penseurs karaïtes auront de grandes controverses avec les rabbanites (orthodoxes) et ces débats influenceront ces derniers comme Saadia Gaon (m. 942), grand opposant aux karaïtes, et l’une des sources majeures d’influence du grand rabbin Moïse Maïmonide (m. 1204). Tous deux de culture arabe et de religion juive. L’influence de Saadia Gaon aura même un rôle un peu plus distant sur une figure importante comme Rachi (m. 1105) mais dans une mesure moindre puisque ce dernier est ashkénaze et non de culture arabe. Dans les chroniques, le karaïsme est souvent désigné par le nom de « mutazilisme juif ».

Est-ce un hasard si c’est grâce à des groupes religieux minoritaires, ou disons, non-sunnites, que nous retrouvons parfois des manuscrits mutazilites, que la tradition historique considérait perdus ? Évidemment, non. Ainsi, des manuscrits de livres mutazilites ont été découverts dans une genizah (partie d’archivage des manuscrits trop usés pour être encore lus) d’une synagogue karaïte du Caire au XIXe siècle. Ou encore, d’autres manuscrits découverts dans le plafond d’une mosquée zaydite à San’a au Yémen au milieu du XXe siècle. D’autres découvertes ont été faites notamment en Iran. Le chiisme a fait bon accueil à la pensée mutazilite, comme le sunnisme, qui en a pris de grandes parts, mais qui a procédé à une forme de damnatio memoriae (effacement des mémoires) du mutazilisme dans son ensemble, qui est resté pourtant enseigné, comme en négatif (ce qu’il ne faut pas penser), jusque de nos jours. Comme le soufisme, le mutazilisme est peut-être la seule appartenance transversale de l’islam. Ainsi, vous pouvez être sunnite, chiite ou ibadite et soufi. De même, vous pouvez être mutazilite et sunnite (comme al-Jâhiz, ou al-Nazzâm par exemple), ibâdite (comme al-Assam ou Hishâm al-Fuwati, certains y ajoutent même Wâssil) ou chiite (comme Bishr b. al-Mu’tamar, ou encore Sharîf al-Murtadha).

Si nous n’avons pas évoqué la question de la guerre, c’est parce que les mutazilites n’ont pas innové de ce côté. Faisant la guerre quand il le fallait, suivant les usages de l’époque. Et à part une révolte, celle de Muhammad al-nafs al-Zakyya, Muhammad l’âme pure (m. 763) descendant du prophète, contre un calife considéré par certains comme lui-même mutazilite, il n’y a pas eu d’action politique particulière du groupe mutazilite. Non en raison d’une absence de doctrine politique élaborée (comme j’ai pu l’écrire auparavant), mais bien parce que le mu’tazilisme ait émergé, dans une matrice conceptuelle apolitique. Selon les auteurs de l’école eux-mêmes, c’est du rejet des oppositions politiques, que le mouvement s’est développé. N’oublions pas que le nom lui-même de « mu’tazila » veut dire, « se séparer », « se retirer ». C’est du rejet des querelles politiques que le mutazilisme semble puiser sa source. C’est sans doute la raison pour laquelle, la lecture mutazilite (hormis la branche shiite de l’école) de la politique qui finira par se constituer, semble avoir été proche de celle des kharijites, notamment des Najadât, pour qui, n’importe qui de vertueux peut devenir calife, à considérer que le califat soit nécessaire. Ce qui l’était pour des raisons politiques, mais non pas religieuses. Le califat n’est pas un devoir religieux, c’était une nécessité historique et politique. Mais en cas de régime vertueux, pas besoin de califat. Ainsi, nous sommes très loin du portrait à charge d’obscurantistes, que certains dans le sunnisme, aiment à dresser contre le mutazilisme dans son ensemble.

Dune… de Denis Villeneuve

Enfin…le film, nouvelle adaptation tant attendue, du chef d’œuvre de la littérature Science fiction (SF), Dune, écrit par Frank herbert, est enfin dans les salles. Un film à la hauteur des espoirs des lecteurs, et qui attirera très certainement de nouveaux lecteurs. 

(Image : D.R.)

Denis Villeneuve, le réalisateur de cet opus nous gratifie ici d’un travail cinématographique absolument incroyable en termes de lyrisme, de réalisation mais aussi d’interrogation. Autremkent dit, le réalisateur se montre à la hauteur des exigences du niveau du livre.

L’esprit du livre y est

Évidement, un film, aussi bien réalisé qu’il soit, ne pourra jamais rendre tous les détails d’une œuvre littéraire. Et ce n’est pas vraiment ce qu’on lui demande. Par contre, une adaptation cinématographique doit réussir à exprimer, au moins partiellement, quelque chose de l’esprit de l’œuvre initiale.

Tout n’est pas parfait, néanmoins le Dune de Villeneuve parvient à capter quelque chose du livre et réussit à plonger dans des interrogations qui semblent relever de plusieurs domaines à la fois. Destinée, choix, religion, sainteté, production, exploitation, loyauté, fidélité…trahison. Tout y est, ou est annoncé !

Quant au jeu des acteurs, bien qu’avant de voir le film, une certaine appréhension pouvait laisser un doute, tant Timothee Chalamet donnait l’impression d’être une star des ados. Mais dans ce film, lui et sa partenaire, Rebecca Fergusson, incarnant une très convaincante Lady Jessica, ont été à la hauteur et même davantage. Ici, il ne faudrait pas mettre de côté la performance de Oscar Isaac dans son rôle du duc Leto Atréides.

Dune : un récit islamo-bouddhiste ? 

L’un des traits marquants de l’oeuvre originelle de l’américain Frank Herbert (1920-1986), est l’omniprésence d’un fonds islamique à son oeuvre. Ainsi des références continues dans le film à des expressions comme « lissan al ghaib« , ou encore la référence au « mahdi » ou au titre donnée à Lady Jessica de « sayyidina« . Et encore, d’autres références présentes dans le livre n’ont pas encore été mises en avant dans le film, mais le seront très certainement dans les suites à venir. Une autre notion d’importance est mobilisée dans cet univers, celle de « Kwisatz Haderach« , expression probablement d’origine hébraïque qui signifie « court chemin ». Toutefois, on peut reconnaître aussi dans cette expression l’arabe « qâfez al turuq« , « celui qui saute dans les chemins » ou « à travers des chemins », expression aussi énigmatique en arabe qu’elle ne l’est en français. Même si cette notion est étrangère à l’islam, elle s’entend malgré tout. De même que le « Shai Khulud » (chose éternité).

Une des questions essentielles posées dans le film est de penser son action dans le monde, qu’on ait le choix ou non. Soit nous ne l’avons pas, et tout ce que nous faisons n’est que le résultat attendu d’un calcul préalable, soit nous sommes libres, et en agissant, nous mettons en place les éléments d’actions futures à venir. Mais peut-on échapper à ce cycle ? Peut-on sortir de la boucle du choix et/ou de la détermination liée à ce choix ? Et c’est ici que le lien avec la pensée bouddhiste se matérialise, peut-on sortir du cycle du samsara ? De cette boucle implacable qui nous mène des actes aux conséquences de manière constante et mécanique. Peu importe le prix de ces actes. Au passage, cette double affiliation des problématiques spirituelles dans Dune, islamique et bouddhiste, n’a rien de surprenant pour qui connaît les origines des Fremens, le peuple de la planète Arrakis, planète aussi appelée Dune. (Si vous souhaitez en savoir plus, allez lire les livres.) La question de la destinée, de son existence ou non, et de se penser libre ou non, toute cette problématique est ancienne et très vive en islam. 

Paul comprend l’enjeu, et longtemps refuse le rôle devant lequel il semble pourtant devoir tenir une place décisive. Agir, sauver la Maison Atréides et la porter au sommet ? Mais au prix d’une « guerre sainte », comme il est dit dans le film, qui sera meurtrière, d’autant plus qu’elle se fera à travers l’univers sur une humanité constituée de centaines de milliards d’individus. Ou alors, acceptera-t-il (Paul), une fin discrète, retirée du monde et des hommes, et qui mettra un terme à sa Maison, mais épargnera des millions de vies…

A la sortie de la projection, la seule question qui se pose est: à quand la suite ?

Compte-rendu du cercle de discussion du 18 janvier 2020

Samedi 18 janvier dernier, se tenait le premier cercle de discussion abordant la nouvelle thématique de cette année, à savoir « être mutazilite aujourd’hui ». Pour cette première, il a été question de savoir si le mutazilisme pouvait mieux aider les musulmans qui y adhèrent, à vivre en Occident.

Mutazilisme et Occident selon le sheikh al-Haydari

Cette question a émergé suite à une sorte de conférence de rédaction en ligne tenue entre les membres de l’ARIM. Celle-ci m’a tout particulièrement retenue mon attention car elle faisait écho à des propos tenus par un religieux shi’ite imamite irakien, le sheikh Kamal al-Haydari, marja’ (référent religieux et guide). Dans une vidéo extraite d’un de ses cours filmés, le sheikh al-Haydari a estimé que l’Occident vivait conformément à la pensée ou à la philosophie mutazilite (voir ici). En effet, il a estimé que les occidentaux s’estimaient responsables de leurs actes et de leur devenir. Certes, aux yeux du religieux irakien, les occidentaux continuent d’aller à l’église le dimanche matin et rendent donc grâce à Dieu. Mais, pour lui, ils partent du principe qu’ils maîtrisent complètement leur destin. Pour sheikh al-Haydari, cette manière de concevoir les choses et de vivre, est conforme à la vision mutazilite.

Les causes secondes (tawalud)

Ainsi, il précise que certains « auteurs mutazilites » (sans préciser de nom), ont expliqué que, si jamais nous devions imaginé que Dieu ne soit plus là, que Dieu est mort (comme le dira Nietzsche), cela changerait-il quoique ce soit au fonctionnement du monde ? La réponse est non. Car pour les mutazilites, Dieu a créé le monde avec ces règles, comme il a créé les humains dotés de certaines spécificités et règles, ce que le sheikh dénomme tafwidh (que l’on peut traduire par débordement, mais que nous mutazila préférons désigner sous le vocable de tawalud, ou « causes secondes »). Le tout fonctionne de manière autonome. C’est pourquoi, sheikh Kamal al-Haydari explique la position des mutazilites en prenant un exemple architectural. Ainsi, une fois un bâtiment mis sur plan par un architecte, et une fois celui-ci mis sur pieds par des maçons, le bâtiment a-t-il encore besoin de l’architecte et des maçons pour exister ? Evidemment, la réponse est négative. Dans le même ordre d’idées, sheikh Kamal al-Haydari compare les discours dans les avions entre Occident et monde musulman. En Occident, le commandant de bord annonce l’heure d’arrivée prévue, et combien de temps durera le vol. Dans le monde musulman,  chaque annonce est ponctuée par l’expression « inchallah » (si Dieu veut). Façon de dire que là où les occidentaux s’en remettent à eux-mêmes, les orientaux, in fine, s’en remettent à Dieu. Plus profondément encore, le religieux irakien précise que c’est grâce à cette philosophie que les occidentaux ont pu obtenir une amélioration de leur condition (droits sociaux, politique, économique, cultuel…) et donc, faire progresser la condition humaine.

Ainsi, le sheikh shiite, en recourant à un raisonnement analogique, montre comment l’application de la philosophie mutazilite en Occident a permis de faire évoluer la situation humaine en Occident. Evidemment, l’Occident ne pratique pas la philosophie mutazilite sciemment. Mais à partir du moment où libre-arbitre et principe de raison suffisante (nihil est sine ratione, rien n’est sans raison) sont reconnus, alors mêmes causes, mêmes effets. En fin de vidéo, le sheikh dit bien que cette manière de voir n’est pas celle du shiisme duodécimain, de même qu’il rejette l’abandon à la volonté divine et la prédestination (jabr).

Pour conclure, nous dirons tout simplement que le mutazilisme insiste sur la capacité des Hommes à faire par eux-mêmes, créateurs de leurs actes et donc responsables. Pensée qui sort le croyant d’une mise sous tutelle et d’une forme d’infantilisation des croyants.

Wa Allahu a’lam

Mais au fait, qui était vraiment Mahomet ? d’Ismaël Saidi et Michaël Privot

D’aucuns pourrait penser qu’avec Mais au fait, qui était vraiment Mahomet ? d’Ismaël Saidi et Michaël Privot, une énième biographie sur Mahomet, le prophète de l’islam, viendrait d’être publiée (aux éditions Flammarion). Or il n’en n’est rien, car ce livre, outre l’érudition qu’on y trouve en termes d’informations sur la vie de l’initiateur de cette religion, n’hésite pas à aborder tous les aspects de ce personnage que les musulmans ont appris à (trop) idéaliser, alors que lui-même, ainsi que la révélation coranique, n’ont cessé de rappeler sa condition d’homme parmi les hommes. Ce livre entretien, présente sous une forme ludique, celui d’un échange entre un artiste musulman (Ismaël Saidi) et un islamologue lui aussi musulman (Michaël Privot), les aspérités d’une figure de l’histoire universelle qui n’a jamais cessé de rappeler qu’il n’était pas parfait. Ce livre aide à apporter un éclairage salutaire sur la question.

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Interview « أصوات مغاربية Maghreb Voices »

لمحاربة التشدد.. مغاربيون يؤسسون جمعية "المعتزلة الجدد" في باريس

لمحاربة التشدد.. مغاربيون يؤسسون جمعية "المعتزلة الجدد" في باريس

Publiée par ‎أصوات مغاربية Maghreb Voices‎ sur jeudi 10 mai 2018

Entretien de Faker Korchane avec Ahmed Saad Zayed (en arabe)

LIVE HIHI « Vers un renouveau mutazilite ? » (HIHI TV, Bruxelles, 23 décembre 2017)

Retrouvez sur le lien suivant l’ARIM qui a pu participer au LIVE HIHI à Bruxelles le 23 décembre 2017. Nous avons eu la chance d’être interviewés et de représenter notre association autour du thème suivant : « Vers un renouveau mutazilite ? ».

Merci à toute l’équipe de HIHI TV pour cette opportunité !

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