Le sunnisme est finalement le groupe qui naquit « en dernier » chronologiquement. Pendant les discussions politico-religieuses qui eurent lieu entre les mutazilites, les qadarites, les khârijites, les chiites jusqu’en 847-848 (fin de la mihna), les traditionnistes (ahl al-hadîth) passèrent leur temps à collecter les traditions, en marge de toutes ces discussions auxquelles ils ne prenaient pas part.
Les mutazilites les surnommèrent « ceux qui se gavent » (al-hashwiyya – terme aussi utilisé par les acharites) les accusant d’être trop naïfs et d’accepter certaines traditions irréalistes et anthropomorphiques pour qualifier Dieu.
Vers la définition du dogme sunnite
Le terme sunnisme vient d’Ibn Sîrîn (m. 728) qui divisa les ahl al-sunna (gens de la tradition) et les ahl al-bidʿa (gens de l’innovation blâmable). Ce n’est qu’après que sunna et islam furent perçus comme des synonymes. Or, les « gens de la sunna » ne furent pas dès le début une majorité, contrairement à l’historiographie partisane sunnite.
Ce fut une construction lente dont l’une des étapes importantes était la période qui suivit la Mihna. Ahmad b. Hanbal (m. 855), principal opposant d’al-Ma’mûn, y contribua grandement. Avant cette période, des traditionnistes ont tenté d’élaborer un proto-sunnisme, dans une sorte de liste énumérant les points controversés. Sufyân b. ʿUyana (m. 811) établit un credo pour définir la sunna :
- Croire en la prédestination (qadar) (contre les qadarites et les mutazilites).
- La foi consiste en parole et en acte, elle peut croître et diminuer (contre les murji’ites).
- Il faut avoir de la miséricorde pour les Compagnons, toute personne qui les insulte ne suit pas la sunna (contre les chiites, les khârijites, etc.).
- Le Coran est la parole de Dieu et incréée (contre les jahmites et les mutazilites).
- La vision de Dieu dans l’au-delà (contre les mutazilites).
- Dieu siège sur le trône (contre les jahmites et les mutazilites).
Le sunnisme selon al-Ashʿârî
Abû l-Hasan al-Ashʿârî (m. 935) contribua non seulement à définir le sunnisme mais aussi à s’opposer au mutazilisme. Originaire de Basra, il fut d’abord mutazilite et eut pour maître, Abû ʿAlî al-Jubbâ’î. Puis il y renonça et devint un traditionnaliste. Cependant, les hanbalites l’ont toujours considéré comme un rationaliste invétéré et le rejetèrent. L’hostilité entre hanbalisme et acharisme dura longtemps.
Al-Ashʿârî se mit à rejeter les principes mutazilites comme le fait que la raison était pour al-Jubbâ’î une des sources premières du dogme en plus du Coran et de la sunna. Cependant, il continua à user de la théologie dialectique (kalâm).
Rejet du libre-arbitre
Il se détourna du dogme du libre-arbitre en arguant ceci : ce qui se produit en l’Homme est agi par Dieu, mais l’agir humain se produit par une « capacité à agir » (bi-qudra) créée en nous seulement au moment où l’acte se produit.
Rejet de la conception mutazilite de la création
Des divergences eurent lieu aussi avec l’idée de Création, les acharites s’opposèrent d’une part avec l’idée de l’Émanation mise en œuvre par les philosophes hellénisants (la multiplicité des mondes et des phénomènes procèdent de l’Un absolu) et à la causalité universelle admise par les mutazilites (les phénomènes de la création sont soumis à un ensemble de causes qui s’élèvent graduellement depuis les causes secondes régissant le monde de la matière jusqu’aux causes premières et jusqu’à la Cause des causes).
Les acharites adoptèrent la théorie de l’atomisme pour sauvegarder l’idée de la toute-puissance et leur idée de la création. La matière serait indivisible en soi (atome), il faut pour la déterminer un principe transcendant (Dieu). Cette idée a pour conséquence la récurrence de la création : les accidents que constituent les agglomérations d’atomes ont besoin de l’intervention d’un principe transcendant qui les crée et les soutienne, donc il faut que la matière et l’accident soient créés à chaque instant. L’univers tout entier est maintenu par la Main divine toute-puissante qui lui conserve son unité, sa cohésion et sa durée.
On parle ensuite d’une école acharite, mais elle ne fut jamais monolithique, car des chafiites, comme des malikites s’y affilièrent. Les hanafites se rallièrent quant à eux à l’école théologique mâturîdite. Ce sont surtout les hanbalites qui s’opposèrent au kalâm acharite, à tel point que le hanbalisme devint non seulement une école juridique mais aussi une école théologique. Par exemple, un juriste chafiite pouvait être considéré comme affilié au hanbalisme théologique.
(Résumé de : BIANQUIS T. et alii (dir.), Les débuts du monde musulman (VIIe-Xe siècle). De Muhammad aux dynasties autonomes, Paris, PUF, 2012, p. 156-159)