Mutazilisme

Association pour la renaissance de l'islam mutazilite (ARIM)

Catégorie : Textes contemporains

Au coeur de l’islam de France

Le 3 juin dernier, vient de paraître une enquête journalistique sous forme de livre, intitulé, Au cœur de l’islam français. Dans ce livre, l’auteur, Étienne Delarcher, journaliste indépendant, s’est donné pour mission de savoir ce qu’un nouveau musulman, lambda, c’est-à-dire banal, sans formation préalable ou aucun background spécifique, pourrait recevoir comme connaissance sur sa nouvelle religion. Ce statut de converti a l’avantage de lui donner la possibilité de poser toute sorte de question sans risque réelle d’être soupçonné de quoique ce soit. Et ce que l’on peut dire, c’est que l’enquête donne des résultats gratinés !

Couverture (photo: D.R.)

La méthode

Pour savoir quelles étaient les discours dans les mosquées de France, Étienne Delarcher va visiter, en trois années, soixante-dix mosquées, essentiellement de la région parisienne mais pas que. Il y a les mosquées de Nanterre, du Kremlin-Bicêtre, de Choisy-le-Roi, ou encore de Paris, évidemment ; mais aussi, des mosquées lyonnaises, marseillaises, lilloises, voire même toulousaine à l’occasion. Pour rationaliser son propos et construire son enquête, le journaliste va analyser trois grandes questions : la place des femmes, le rapport au texte sacré, et le rapport au reste de la société. Le journaliste, dans sa peau de fraîchement converti, se rend dans les mosquées pendant les khutab(prêches) et/ou durûs (leçons), écoute, puis, une fois l’intervention de l’imam ou du mudarris (enseignant) fini, Étienne Delarcher commence par poser une première question a priori anodine, sur la licéité de la musique par exemple, mais qui lui permet de situer le niveau d’engagement de la personne avant même que le journaliste ne lui pose sa « vraie » question.

Les résultats…ça fait peur

Le résultat du travail du journaliste est pour le moins gratiné. Qu’entends-je par ce terme ? En réalité, rien de ce que le journaliste rapporte n’est nouveau pour qui connaît les mosquées, le niveau de formation, mais aussi et surtout, les discours religieux officiels. Disons-le franchement, les femmes sont systématiquement infantilisées et chosifiées. Elles ne savent pas se diriger par leurs têtes mais sont de pauvres victimes de leurs cœurs bien trop tendres, et ne savent pas ce qui est bon pour elles. D’où la nécessité de tuteurs et de mahram (sorte de chaperon) dans leurs activités, si activités il doit y avoir. Le male de la famille est seul à prendre les décisions au mieux pour les femmes de la famille. C’est le discours religieux officiel tenu dans les mosquées. Ici, il faut préciser que le journaliste n’interprète rien, il dit ce que les religieux rapportent et enseignent. Il ne fait pas d’étude sociologique sur la réalité de l’activité des femmes et leur autonomie par rapport aux discours religieux. Son angle de vue est, « je suis nouveau musulman, qu’est-ce qu’on m’enseigne ? ». Évidemment, les femmes musulmanes pratiquantes et qui fréquentent les mosquées sont bien souvent à des années lumières de cette image véhiculée par les religieux eux-mêmes, elles sont souvent celles qui ont les études les plus abouties dans les familles, et occupent des emplois qualifiés et on des situations professionnelles établies. Infantilisées, elles sont aussi chosifiées. Les femmes sont des perles qu’il faut conserver dans leurs écrins, des pierres précieuses qui ont tellement de valeur qu’il faut absolument protéger. Donc, elles sont des objets à forte valeur ajoutées, mais des objets, des choses, quand même. Par charité, je passe sur le discours qui fait des femmes des sexe-toys à disposition des hommes. Nous sommes à des parsecs du message coranique sur la relation de mawadda (amour intense) de rahma (trop vaste pour être facilement traduit) et de walaya (rapport de responsabilité et de protection) entre les époux et à laquelle appelle le Coran (valeur astronomique, un parsec =1pc = 30 900 milliards de km). Voici un passage assez édifiant sur la question pour illustrer le propos de l’auteur : « Le thème du couple en islam est assurément le sujet que j’ai le plus traité. En tout, cela a donné lieu à plus de vingt-cinq discussions avec des responsables religieux, D’où se dégage une tendance de fond, profonde, quasi consensuelle, construite sur deux piliers. D’une part, une justification de la hiérarchie patriarcale : les hommes dominent, décident, travaillent ; de l’autre les femmes sont confinées aux travaux ménagers et à la soumission. En parallèle de ce premier pilier, il y a tout un arsenal religieux pour faire tenir cet ordre patriarcal, passant de la pression psychologique jusqu’à la violence conjugale. Cette base, ce socle va être agrémenté, à chaque discussion, de petites variations qu’elles soient argumentatives ou portant sur le fond. » (p.94)

Sur la partie théologique, deux choses sont saillantes. Le Coran est tellement sacré, qu’on accepte tel quel ce qui y est dit, sans possibilité de l’interroger, ni même d’envisager la possibilité du ta’wîl (interprétation pour se rapporter au sens premier). Le texte est toujours pris de façon littérale, ou toujours compris à travers les lunettes de lecture du littéralisme. Rien de surprenant pour nous, depuis le XIIIe, XIVe siècles, c’est le suivisme et le littéralisme hanbalite qui s’est peu à peu répandu dans tous les milieux sunnites. On voit aujourd’hui que cette maladie, ce cancer exégétique à même gagné les milieux hanafites. Le hanafisme, seule voie issue de l’approche kufienne, a fini par sombrer au XXe et au XXIe siècles. Le déobandisme s’attaquant au maturidisme qui avait succédé au mutazilisme des premiers hanafites. Il faut renouer avec le hanafisme originel, celui d’Abû Hanifa (et non d’Habou Hanifa Monsieur Delarcher de grâce p. 57) lui-même miroir actualisé du mutazilisme. Raison pour laquelle, des ouvrages de littéralistes comme Ibn Kathir, ou Ibn Taymiyya sont aujourd’hui sollicités comme le remarque l’auteur. D’ailleurs, pour en revenir à l’ouvrage du journaliste, outre l’aspect littéraliste qui met à mal autant de religieux avec lesquels le journaliste interagit ; un autre point dans ce livre est digne d’intérêt sur la question théologique, la sacralisation du prophète Muhammad (s). Voyons ce que dit l’auteur après avoir écouté un imam parlé du prophète : « un mélange de superlatifs et de récits hagiographiques, le tout récité sans nuance et sans recul. (…) De l’extérieur, et même s’il est probable que le cheikh s’en défendrait sûrement, tout ceci ressemble étrangement à de l’idolâtrie » (p. 183-184). L’amour de notre prophète n’a jamais consisté en une pure imitation servile, une singerie vile de celui qui est effectivement un guide pour nous. Il ne faut pas le singer, il faut s’en inspirer. Au lieu de vouloir gratter frénétiquement ses dents dans du siwâk (petit bâton de bois qui servait de brosse à dents à l’époque) sous le prétexte que c’était la pratique du prophète, n’est-il pas plus sage, plus juste, plus profond, plus utile, de faire comme lui en respectant sa parole par exemple ? N’est-ce pas plus prophétique de toujours respecter autrui, plutôt que de jeûner les lundis et jeudis sans rien amender à ses vices ? Le prophète doit être source d’inspiration, et nullement objet de singerie aliénante et servile, cela n’a jamais été son enseignement.

Last but no least, le rapport au reste de la société. Dans ce dernier chapitre, l’auteur revient sur le rapport aux femmes et plus précisément sur la possibilité que l’on a ou non de serrer la main à une femme quand on est homme. La question du mariage des enfants, ou encore le régime préconisé en islam. Là encore, les réponses ne se font pas remarquées par une prise en considération du zamân (temps) et du makâne (espace), pourtant si chères au fiqh (droit islamique) classique. Quoique, si l’interdiction de serrer les mains des femmes semblent plutôt bien partagée et même justifiée par les acteurs du culte ; tous ont tendance à nuancer la question du mariage des mineurs. Pour eux, il faut attendre la « puberté », et ils n’hésitent pas à monter jusqu’à seize ou dix-sept ans. Quant au régime politique que les religieux musulmans pensent être islamique, c’est celui de la « choura », voire le califat. Bien que derrière ce vocable, les religieux ne mettent pas tous la même chose. Mais notre auteur sera marqué par le conseil que lui donne un imam francilien « enthousiaste », pour l’aider à comprendre ce que serait, comme le demande le journaliste « le régime politique qui serait le plus préférable. » (p.190) Ce livre s’avère être La politique religieuse de…Ibn Taymiyya. Extraits choisis : « je commande le livre en question. Je m’attendais à un écrit passablement réactionnaire, mais je vais quand même être surpris par les multiples horreurs qu’il contient. (…) très vite, je remarque que le théologien a une obsession, celle du Djihad. Car l’objectif d’Ibn Taymiyya n’est pas de construire un état stable mais d’inventer une chefferie guerrière répandant l’islam à coups de sabre. La guerre sainte et non seulement la finalité de son projet politique, mais aussi le moyen de la survie de celui-ci. » Plus loin : « ce théologien ordonne aux gouvernants d’appliquer la charia, et insiste sur le fait que les sanctions divines doivent être administrées sans délai et sans la moindre indulgence. La froideur du texte est troublante. Aux yeux du religieux, le simple fait d’aller voir le calife pour demander d’épargner un voleur qui va se faire trancher la main est présenté comme un acte gravissime de désobéissance envers Allah. » Le journaliste s’est quand même intéressé à Ibn Taymiyya, il ajoute une note tout à fait juste et pertinente : « À chaque page de cet ouvrage, on découvre de nouvelles horreurs, de nouvelles règles inhumaines. Le théologien Ibn Taymiyya était déjà à son époque, le XIIIe siècle, perçu comme un religieux austère et obtus. Vue du XXIe siècle, cette évidence est encore plus criante. » Mais plus éclairant encore et pour finir, la conclusion de l’auteur sur cette recommandation de lecture que devrait méditer bon nombre de nos religieux : « Comment peut-on penser que c’est une bonne idée de mettre entre les mains d’un converti, en pleine découverte de sa religion, un livre qui prône la création d’un califat Sanglant et expansionniste dont l’objectif serait d’écraser toute contestation de l’islam non seulement dans ses frontières mais aussi en dehors ? Si on lit ce livre et qu’on finit par être convaincu par les principes qu’il promeut, le seul débouché politique existant, c’est de rejoindre Daesh. Je ne saurais dire si c’est de l’inconscience ou un choix délibéré, mais en agissant ainsi l’imam de la mosquée de (cf livre, ndl) m’envoie directement dans les bras de groupes terroristes. » (p. 192/193/194/195)

La partie du livre sur le salafisme est étonnement courte, à peine plus de deux pages. Dans cette partie, Étienne Delarcher, le journaliste, dit bien que « de nombreux responsables religieux vont spontanément [l]e mettre en garde contre ce mouvement fondamentaliste, et les griefs avancés sont souvent les mêmes, qu’il s’agisse de dérive violente, de l’obsession du paraître ou du mépris des autres courants islamiques (…) mais », continue l’auteur, « dans le même temps, cet Islam républicain (celui des responsables religieux, ndl) reste largement poreux face aux intrusions de cet intégrisme venu d’Arabie Saoudite. Dans l’essentiel des mosquées où j’ai enquêté, les bibliothèques portaient la marque de cette influence salafiste, avec de nombreux ouvrages de ce courant mis à la disposition des fidèles. Je vais aussi retrouver de manière encore plus directe ses idées dans des cours de fiqh ou des rappels. Il n’y a pas d’ostracisation des penseurs salafis, très loin de là. Rien ne vient stopper cette poussée intégriste. »

Hors du livre : une enquête nécessaire pour parler de l’islam en France…

L’enquête du journaliste pourrait paraître à charge, comme n’adoptant qu’un point de vue limité, et qui ne rend pas compte de toute la réalité théologique de l’islam de France. Après tout, le soufisme, le shi’isme, d’autres approches même dans le sunnisme sont complètement absentes du livre. De même, l’auteur ne rend pas compte de la réalité concrète des musulmans lambdas, qui ont tendance à faire fi de tous les aspects problématiques qui sont enseignés comme étant l’islam. L’écrasante majorité des musulmans (hommes et femmes) serrent les mains de gens de l’autre sexe, l’écrasante majorité n’irait jamais chercher à faire exécuter un ex-musulman devenu chrétien ou bouddhiste ou que sais-je, etc. Mais justement, tout l’intérêt de la démarche du journaliste, qu’il faut saluer, n’était pas de rendre compte de la réalité des croyances et des pratiques des musulmans (d’ailleurs, juste sur cet aspect-là, bien que l’auteur signale souvent la qualité médiocre des prêches, il souligne très souvent la bonhomie des imams et la chaleur qu’il trouve dans les mosquées). L’intérêt de la démarche d’Étienne Delarcher est de montrer, non pas au public de façon générale, mais à nous, musulmans, « voilà ce que vous réfléchissez de l’islam », réfléchir comme au sens de ce que fait un miroir, il vous renvoie l’image que vous lui donnez. Si vous détestez la couleur rouge mais que vous portez un maillot home des Reds de Liverpool, le miroir ne va pas le transformer en maillot blanc pour vous faire plaisir, il vous dira simplement « regarde ce que tu portes, eh oui, c’est rouge ! ». Énervez-vous comme vous le voudrez, criez, rejetez, niez, le fait est que vous portez du rouge.

J’arrête là la métaphore. Ce livre est plus que précieux, parce qu’il met un miroir face aux responsables religieux musulmans. Ces gens savent que toutes ces croyances problématiques, sur l’inégalité entre les sexes, le rejet de l’autre, l’islamisme, soft ou hard, etc. tous ces aspects sont dans les faits…abrogés par la pratique des musulmans. Mais le discours officiel, celui des religieux n’a pas évolué depuis des siècles parce qu’il ne peut plus évoluer. Depuis des siècles, c’est l’école du hadith, l’école du naql ou de l’imitation qui s’est imposée en milieux sunnites. Or l’écrasante majorité de nos mosquées en France sont sunnites. Le discours religieux officiel en France a du mal à regarder ce qui se passe ailleurs, dans les pays à majorité musulmane et où des auteurs ont conceptualisé des avancées théologiques plus ou moins timides, mais où ils avancent, quitte à faire bouger les lignes doucement (comme en Tunisie ou au Maroc mais pas seulement). Les responsables religieux musulmans en France sont en vérité, pris au piège d’une double tension : Occident/Orient d’une part, mais plus problématique encore islam/France. Je ne dis pas islam/laïcité, parce que c’est un faux débat. La loi 1905 est parfaite, elle encadre l’action de l’État afin de permettre la liberté de conscience, de croyance et de culte aux usagers (citoyens), garantissant ainsi la parfaite liberté religieuse de tous.

…un islam plus complexe qu’il n’y paraît

Et pourtant, il y a des religieux français qui ont réussi à dépasser cette tension. Je dirai même que ce discours, sans être majoritaire, commence à être plutôt connu par un certain nombre de fidèles. On voit que l’enquête d’Étienne Delarcher épingle le plus souvent les propos d’imams « remplaçants », ou d’enseignants, disons, non-titulaires, même et surtout, dans, les grandes mosquées. Pourquoi l’auteur n’épingle-t-il pas les propos de personnalités religieuses plus établies telles que, au hasard, Tareq Oubrou à Bordeaux, Azzedine Gaci à Villeurbanne ou encore Kamel Kabtane à Lyon ? Je ne sais si’ l’auteur a pu les écouter, mais je pense que ces personnes, avec d’autres imams, ont réussi à faire le lien entre une connaissance fine de la religion, notamment dans sa théologie pratique (fiqh), avec la réalité du terrain et la fameuse abrogation de fait, celle des croyants, d’une partie du fiqh classique, notamment celui portant sur les châtiments corporels. Comprenons-nous bien. Le fiqh classique dit bien que « l’apostat » devrait être exécuté et qu’un fornicateur (et même une fornicatrice), doit être lapidé. Mais dans les faits, à part quelques psychopathes ou sociopathes, cela arrive peu. Sur un total de plusieurs millions de musulmans en France (entre quatre et six ou sept), les sociologues estiment que 25% des enfants issus de familles musulmanes ne le sont pas. Soit ils deviennent athées, agnostiques ou se convertissent à d’autres religions. On ne voit pas (sauf dans les fantasmes des islamophobes) autant de gens être tués tous les jours. En outre, les affaires d’adultères (sur la fornication), finissent plus en divorce qu’autre chose. Il y aura toujours un ou deux contre-exemples à montrer, mais ils n’iront jamais contre ce mouvement de fond.

Les religieux dont je parle, connaissent le fiqh classique, dis-je, mais aussi, la réalité empirique de leur terrain (la société française, et pas seulement, parce que eux sont attentifs aux débats hors de France dont je parlais plus haut). Eux ont admis une première donnée que les initiés savent : le fiqh est une activité humaine. Les textes ne changent pas, notre compréhension du texte, elle, bouge. Beaucoup refusent de l’admettre, y compris et peut-être même surtout, chez les religieux mal, ou peu formés. Mais les bons savent. De ce fait, ils admettent et acceptent que des pans entiers du fiqh, bien que toujours enseignés dans les grandes universités islamiques, soient dans les faits, mis de côté dans leurs enseignements. Cela ne veut pas dire qu’il y a double discours, au contraire. Il y a un choix de faire place à une abrogation de facto, mais qui est parfois difficile à assumer officiellement et clairement. Elle l’est sur la question de l’esclavage par exemple, parce que cette abrogation de fait de ce pan entier du fiqh a été admise consensuellement par les musulmans. Il n’y a donc pas de difficulté à dire que cette partie du fiqh est dépassée, bien que le fait qu’elle soit toujours enseignée pose question (comme la bien montre Omero Marongiu-Perria dans son lumineux Rouvrir les portes de l’islam). Le problème pour nos religieux éclairés, est qu’ils savent qu’ils évoluent dans un contexte hostile (chez les non-musulmans) qui nourrit les franges les plus réactionnaires chez nombre de musulmans, notamment les plus jeunes. Pas étonnant que notre journaliste faux-converti raconte comment un jeune musulman est venu le voir pour lui recommander un site religieux portant les avis d’imams saoudiens considérés porteurs du vrai islam, contrairement aux « imams français ». Le défaut de nos religieux éclairés, pour certains d’entre eux, est que souvent, ils ne disent pas clairement les choses.

Comme un air de révocation de l’Édit de Nantes

La Révocation de l’édit de Nantes 1685 (photo: D.R)

Mais voilà, en France, il y a un rejet de la reconnaissance de l’islam comme « religion française » par les politiques. Ce rejet, et ce jeu sur l’islam par les politiques, s’appuie sur l’histoire d’une part, mais aussi et surtout, sur l’actualité (attentats, discours etc). Les politiques utilisent l’islam comme variable d’ajustement pour faire monter des peurs et jouer avec le vote des extrêmes. Depuis le début des années 2000, on a donné raison aux extrêmes droites, et on leur a permis de répandre leurs idées, comment ? En se les appropriant. Le premier à avoir fait ça de façon assumée, avec sa fameuse « droite décomplexée », c’est Nicolas Sarkozy. Et en 2004, on a violé la loi 1905 pour transférer la neutralité qui devait être celle de l’État dans le secondaire, aux usagers, usagères en l’occurrence, des services publics. On a fait ce qu’on fait dans les pays totalitaires, on a dit aux gens ce qu’ils pouvaient porter ou non. Aujourd’hui, avec les nouvelles directives, les agents de l’État vont pouvoir définir le port d’un habit religieux ostentatoire « par destination. » Ainsi, si on sait qu’un groupe religieux quelconque adopte le port d’un t-shirt orange d’une certaines marque sportive comme signe de reconnaissance, c’est un agent de l’État qui pourra décréter que tel élève porte un maillot des Pays-Bas innocemment, pour faire du sport, ou parce que sa blondeur serait signe d’une origine batave ; alors que ce brun à la barbe naissante, ne peut porter ce maillot que parce que c’est un signe religieux ostentatoire. Depuis 2004, on vit dans une islamophobie d’atmosphère, comme la formule existe déjà (merci Monsieur Kepel) qui n’est pas sans évoquer un air d’édit de Fontainebleau de 1685. Certains ne comprendront pas ce rapprochement, pourtant, rien qu’à titre personnel, dans ma famille et chez mes amis musulmans, la question de quitter la France se pose depuis au moins, une décennie. A l’heure où je pose une dernière main sur cet article, le RN vient de remporter les élections européennes, avec 32% des voix. Le président vient de dissoudre l’assemblée nationale, à quelques semaines des prochaines élections législatives anticipées (prévues les 30 juin et le 7 juillet), l’avenir paraît encore plus incertain que jamais.

Tout cela est beau et bien, mais quel rapport avec le livre d’Étienne Delarcher et du discours des responsables religieux musulmans en France ? C’est simple, si vous vous lancez dans une entreprise de relecture critique, et que cette relecture aille dans le sens d’une plus grande harmonie et d’un accord avec la déclaration des droits de l’Homme, et surtout la loi française, ce qui serait vécu comme une avancée et un triomphe pour la Place Beauvau et notre ministre des cultes ; cela pourra être vécu comme une trahison, un acte de soumission et de renoncement à soi dans une ambiance où on a l’impression que de plus en plus de monde attend le son du tocsin le soir du 24 août. Des partis politiques se sont créés et leurs fondateurs multicondamnés pour appel à la haine, mais ils sont toujours là. Et nous (musulmans), devons accepter cela. Je suis moi-même engagé parmi les réformistes, ceux qui appellent à un aggiornamento de la théologie islamique, des pratiques, discours et enseignements. Mais j’avoue qu’en ce moment, je ne suis pas enthousiaste. Non que je crois avoir tort, je crois que Dieu nous a donné la raison pour qu’on l’utilise, mais je crois aussi que pour nombre de partisans des Guises modernes, que je sois réformateur ou salafiste, ou soufi ou philatéliste…je suis avant tout musulman, et donc, je pose problème.

D’aucuns naissent posthumes

Dans ce contexte, le changement ne sera ni évident, ni spectaculaire, ni rapide. Il prendra beaucoup de temps, j’ai parfaitement conscience de travailler (moi et mes alliés en vérité) pour les oreilles de demain, comme disait Nietzsche, « d’aucuns naissent posthumes » ajoutait-il. Le temps est notre seul allié, il est puissant, mais encore faut-il qu’il puisse s’installer sans qu’on le précipite comme on a pu le faire dans une nuit noire d’été 1572. Sans aller jusqu’à ses proportions, disons, d’aller dans cette logique. Beaucoup se contenteraient d’une expulsion massive. Que tous ceux, de bonne volonté, ou de moyenne bonne volonté, qui réfléchissent à la question de l’islam en, de, France, musulmans ou non (surtout « ou non »), prennent en considérations ces données dans leurs réflexions.

Abdennour Bidar, « Dieu et les mondes »

Abdennour Bidar, « Dieu et les mondes » dans La civilisation arabo-musulmane au miroir de l’universel : perspectives philosophiques, Paris, UNESCO, 2010, p. 113-120 (reproduction intégrale avec l’accord de l’auteur, aperçu du livre ici)

Le Dieu de Mohammed est d’abord une voix ordonnant à son envoyé de parler en son nom, de lire et de dire la parole divine : « Qoul ! », « Dis ! », « Dis : Je cherche la protection du seigneur des hommes (rabbi nnâs), roi des hommes (maliki nnâs), Dieu des hommes (ilâhi nnâss), contre le mal du tentateur » (CXIV, 1-4). Si le Coran parle de Dieu, de sa transcendance, de ses puissances, de sa miséricorde, il le fait comme si c’était Dieu même qui s’exprimait au sujet de lui-même.

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Makram Abbès, « L’adab et la formation de l’homme »

Makram Abbès, « L’adab et la formation de l’homme » dans La civilisation arabo-musulmane au miroir de l’universel : perspectives philosophiques, Paris, UNESCO, 2010, p. 29-40 (article reproduit partiellement, aperçu du livre ici)

« Le terme « adab » est polysémique. Il désigne aussi bien l’éducation que l’instruction, aussi bien les belles lettres que la sagesse, voire même la civilité, le savoir-faire. L’ensemble de ces désignations sont orientées vers l’idée de la formation de l’honnête homme, à la manière du modèle qui prévaut en Europe durant la renaissance. Il s’agit d’activer en l’homme, par l’étude des lettres, la bonhomie. Le savoir au sens strict reste conditionné par l’apprentissage du savoir vivre et du savoir faire. (…)

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Abdennour Bidar, « Quels usages de la raison pour la connaissance et la conduite spirituelles ? »

Abdennour Bidar, « Quels usages de la raison pour la connaissance et la conduite spirituelles ? » dans La civilisation arabo-musulmane au miroir de l’universel : perspectives philosophiques, Paris, UNESCO, 2010, p. 221-228 (reproduction intégrale avec l’accord de l’auteur, aperçu du livre ici)

L’appel à la réflexion est un des thèmes les plus récurrents du texte sacré des musulmans. Sans relâche, il attribue à Dieu un discours qui oblige l’homme à réfléchir sur ses « signes ». L’univers entier est ainsi décrit comme un univers de signes, un livre de méditation sur le mystère de l’apparition même de l’être. Chaque verset est un signe de Dieu, autrement dit une invitation à réfléchir. En exhortant l’homme à se placer face à la nature, et face à sa propre nature, le Coran enjoint l’homme non pas à croire en un hypothétique au-delà – sur lequel notre raison est impuissante à dire quoi que ce soit – mais à construire des interprétations scientifiques du réel.

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Souleymane Bachir Diagne

Souleymane Bachir DIAGNE, Comment philosopher en islam ?, Paris, Philippe Rey, 2008

Sur la raison

« Peur de la raison et que son usage fasse glisser et tomber dans l’incroyance ? Ceux qui ne craignent rien tant que la raison livrée à son propre pouvoir, la pensée libre et qui questionne, s’empressent de dénoncer une spéculation qui semble avoir fait « sécession avec la pensée dogmatique ». « Sécession », iʿtazala en arabe, donnera leur nom à ces théologiens que l’on appellera donc des mutazilites, c’est-à-dire, littéralement, « ceux qui se sont séparés ». (…) Peur de la raison. Mais que dire alors d’une situation où le rationalisme se mettrait à exiger que tous se conformassent à ce qu’il demande et serait prêt à régner, au besoin, par la terreur ? Serait-ce une contradiction absolue de voir la raison décider de gagner les esprits et les cœurs par la force ?

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Cheikh Bouamrane sur Averroès

Voici un extrait du livre de Cheikh Bouamrane, où l’auteur nous décrit le rapport d’Averroès avec le mutazilisme (Le problème de la liberté humaine dans les pensée musulmane, solution mu’tazilite, Paris, Vrin, 1978, p. 318-321) :

« Les philosophes musulmans de l’Espagne ont-ils eu une connaissance directe du mutazilisme ? Ibn Rushd (Averroès, m. 1198) prétend, comme on l’a vu, que les écrits mutazilites ne leur seraient pas parvenus. Une telle affirmation est d’autant plus surprenante que le philosophe de Cordoue cite à plusieurs reprises les théories mutazilites qu’il connaît fort bien. Dans ses Manahij en particulier, il mentionne le mutazilisme parmi les doctrines qui existent à son époque.

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Roger Arnaldez sur le mutazilisme

Voici un extrait de texte écrit par Roger Arnaldez dans l’Encyclopedia Universalis.

« Le mutazilisme est une des sectes (firaq) les plus importantes de l’islam. Elle a des origines politiques qui remontent aux premiers temps du califat, et ses adeptes ont joué un rôle dans les événements qui ont marqué la période umayyade et ‘abbāside. Elle s’est d’autre part signalée comme la première des écoles de théologie spéculative (kalām). La pensée religieuse musulmane s’est développée à partir d’elle et souvent en fonction d’elle. C’est par sa doctrine que le mutazilisme a survécu et que son esprit peut encore inspirer la réflexion des penseurs musulmans.

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