Ce vendredi 1er décembre 2017 correspond au 12 rabi’ al awwal de l’année 1439 selon le calendrier hégirien. Autrement dit, en ce jour, les musulmans célèbrent la naissance du prophète Muhammad (s*).
C’est un jour de joie et de partage, l’occasion pour les proches de se voir, et d’échanger des douceurs (en Tunisie, c’est une crème à base de graines de pin d’Alep, assidat zgougou), mais aussi et surtout, de méditer sur la vie du prophète, et de s’inspirer de lui comme modèle.
Le prophète comme source d’inspiration
Mais c’est ici que les difficultés apparaissent. Le prophète Muhammad (s) est le dernier des prophètes, celui qui a scellé la prophétie et annoncé le début de l’âge de la responsabilité des Hommes. Il n’était pas parfait, mais Dieu l’a absout de ses erreurs. C’était un homme du VIIe siècle de l’Arabie occidentale, mais dont la mission, à travers ces concitoyens, visait l’humanité toute entière. Muhammad (s) comme modèle, c’est connaître son histoire et ses réalisations, ce qui se dit sîra en arabe. Les historiens nous disent qu’il n’existe pas beaucoup d’éléments fiables qui nous permettraient de reconstituer sa biographie. La plus ancienne biographie du prophète est celle d’Ibn Ishaq, aujourd’hui disparue, mais reprise et apparemment réarrangée par son disciple, Ibn Hichem, au IXe siècle. Il n’empêche que cette sîra reconstituée nous livre beaucoup d’informations. Assez en tout cas pour permettre aux musulmans de se représenter le genre d’homme qu’a pu être le prophète.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les textes dont nous disposons, sur la sîra et encore plus sur les ahadith (maximes et aphorismes attribués au prophète) ne sont pas d’une fiabilité absolue. Mais ils nous fournissent quand même beaucoup d’informations. Parfois contradictoires, parfois étranges, mais souvent aussi édifiants et informatifs. Dans ce flux de « données », beaucoup de choses sont dites. Très souvent, il est difficile de croire ce qu’on peut y lire. Mais parfois, il y est question d’événements d’une incroyable sagesse et profondeur. Des événements qui, à la lecture du Coran et de ce qui s’y trouve sur le prophète, peuvent être considérés comme « pertinents » à défaut d’autres termes.
Le Pacte des vertueux
A titre d’exemple, je prendrai un épisode de la vie du prophète connu par les spécialistes mais peu commenté en général. Celui du Pacte des vertueux, hilf el fudhul. Ceci pour plusieurs raisons, dont la plus notable, est que cet événement a eu lieu avant que Muhammad (s) ne devienne prophète, quand il n’était encore qu’un jeune noble de condition modeste mais dont la réputation de justice et d’équité lui avait déjà fait gagner le surnom d’al-Amin, celui en qui on peut avoir confiance. Un jour, un noble puissant, Abdullah Ibn Jud’an, chef de la tribu des Taym, réunit des représentants des clans et des tribus les plus importantes de La Mecque. Et il créa une alliance des puissants avec pour but, la défense des plus faibles. En effet, un jour, un voyageur yéménite a été escroqué alors qu’il était de passage à La Mecque. Appelant les gens de la ville à défendre le honneur en lui rendant justice et ne trouvant rien de tel, l’homme s’adressa au public présent pour les récriminer et leur rappeler qu’ils avaient failli à toutes les règles d’hospitalité et d’honneur. Mais le yéménite n’étant que de passage, n’ayant pas de lien tribal ou clanique avec des clans ou des tribus locales et donc non protégé s’est trouvé livré à lui-même.
En réaction à cet événement, Abdullah Ibn Jud’an convoque les puissants de sa cité et tous ensemble, dont le jeune Muhammad représentant des Hachémites, jurent de protéger l’opprimé et l’offensé, quel qu’il soit, même contre des puissants s’il le fallait, et donc contre leurs pairs, leurs égaux, pour défendre les plus faibles. Or pour ce faire, il faut pouvoir penser contre soi-même. Et pour cela, il faut une forme de grandeur. En somme, cette assemblée a posé les règles de ce que d’aucuns appellent « chevalerie », et que les Arabes appelleront futuwwah. A ce titre, il faut rappeler que l’une des principales figures de le futuwwah, n’est autre que l’imam ‘Ali (as**).
Même après la révélation, le prophète, se remémorant de cet épisode de sa jeunesse aurait dit selon Ibn Hichem :
« J’étais présent dans la maison de Abdullah Ibn Jud’an lorsque fut conclu un pacte si excellent que je n’échangerais pas la part que j’y ai prise contre un troupeau de chameaux rouges ; et si maintenant en islam, on me demandait d’y participer, j’accepterais avec joie***. »
Ici, les notions de justice, de morale, de vérité et de bonté ne sont pas tributaires d’un texte ou d’un quelconque argument d’autorité ou d’un texte. Ce qui est vrai un vrai, et ce qui est juste est juste, en eux-mêmes. Ce récit est en harmonie avec de nombreux passages du Coran selon lesquels la communauté des vrais croyants est celle qui « ordonne le convenable et interdit le blâmable ». Convenable et blâmable sont relatives aux contextes dans lesquels on les pense, mais dans tous les cas, le convenable est bon, et le blâmable mauvais. Il y a donc autonomie des valeurs par rapport aux textes scripturaires. Le vrai est vrai en lui-même, le mauvais, mauvais en lui-même mais ne dépendent pas de l’autorité d’un texte qui nous dise ce qui est bon et mauvais, ou vrai ou juste. Les sources scripturaires nous fournissent des éléments qui nous nourrissent spirituellement, de l’eau au moulin de notre esprit. Mais ne nous manipule pas pour autant comme des marionnettes.
Grandeur et compassion
Voilà ce que l’on peut tirer comme leçon de la sîra du prophète. Prendre le prophète comme source de modèle ne peut vouloir dire l’imiter dans ses habits, son hygiène ou ses postures et expressions. Mais plutôt, à s’en inspirer comme modèle éthique ou moral. Mais pas comme un mime. Imiter le prophète, si cela relève du possible, c’est respecter la parole donnée, être juste, honnête, digne de confiance, modeste, proche de sa famille, femme et enfants identiquement. Ce n’est pas s’habiller en pantacourt en décembre, se frotter les dents à coup de bâtons de siwak, se contorsionner pendant la prière pour tenter de s’asseoir comme le prophète, ou pire encore, traumatiser des enfants gauchers en les obligeant à manger de la main droite sous prétexte que le prophète (s) faisait de même.
Ainsi, plutôt que d’imitation, il vaudrait mieux parler d’inspiration à partir du modèle prophétique. Et si sa manière de se tenir quand il priait, sa façon de manger n’ont pas de pertinence pour nous aujourd’hui, son comportement avec les autres, son éthique immense (‘adhim), sa nature compassionnelle (rahma) restent des valeurs qui ont du sens à notre époque. C’est ce que montre l’épisode du Pacte des vertueux. C’est pourquoi en cette occasion du Mawlid al nabawwy al sharif, la naissance du noble prophète ; il nous faut nous rappeler que les deux valeurs cardinales que toute personne doit garder à l’esprit pour comprendre les agissements du prophète (s) et s’en inspirer elle-même, sont la grandeur (penser contre soi-même si nécessaire, cf sourate 80, L’air sévère, ‘Abassa) et la compassion.
Que ce Mawlid soit l’occasion pour nous tous de méditer sur la façon dont nos pourrions nous inspirer de son exemple et insuffler grandeur et compassion dans nos actes. Joyeuses célébrations ! Salutations et bénédictions de Dieu soient sur le prophète Muhammad ainsi que sur tous les envoyés ! Louanges à Dieu Maître des mondes.
* (s) : Salutations et bénédictions sur lui
** (as) : alayhi as salam, salutations sur lui
*** cité in Tariq Ramadan, Muhammad, vie du prophète, Archipoche, p. 48
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