Abû-l-Abbas Abdallah Ibn Harûn, dit al-Ma’mûn, naît à Bagdad en 786 ap.-J.C., soit en 170 de l’Hégire. Il est le fils du sixième calife Abbasside, le fameux Harûn al-Rashîd et d’une esclave perse, Marâjîl.

Des débuts difficiles

Jeune prince abbasside, al-Ma’mûn reçoit une bonne éducation, son père est connu pour priser la culture et les savoirs. Encore adolescent, il est nommé par son père gouverneur du Khorasan, et part s’installer à Marw (aujourd’hui au Turkménistan). En 802, Harûn al-Rashîd choisit son fils al-Amîn pour lui succéder au trône, mais lui fait jurer de nommer son frère al-Ma’mûn comme successeur. Pour bien marquer l’importance et la nécessité de respecter le serment, Harûn al-Rashîd procède à la cérémonie de nomination en pleine Ka’aba dans la cité sainte de La Mecque. Il fait établir un acte écrit et signé par ses deux fils. Le serment est retranscrit et signé puis accroché à l’intérieur de l’édifice cubique (Ka’aba).

Mais à la mort d’al-Rashîd en 809 ap.-J.C./193 H., al-Amîn prend bien la succession de son père mais contrairement à sa promesse, il nomme son propre fils comme héritier. Al-Ma’mûn se révolte, et à la tête de ses troupes du Khorasan, il entre en rébellion contre son frère. Al-Amîn, fils d’une Arabe, se fait le champion des Arabes et accuse son demi-frère, fils d’une persane, d’être sous influence perse. Très vite, le conflit prend une tournure ethnique, où s’opposent les Arabes et les Perses. La guerre se termine en 813 ap.-J.C. avec la défaite d’al-Amîn. Il sera exécuté par un général zélé alors qu’il tentait de fuir.

Al-Ma’mûn devient le nouveau calife. Son règne va marquer le début d’une nouvelle ère, et marquera le point de départ de la production intellectuelle arabo-musulmane et le début de l’âge d’or du monde musulman qui durera jusqu’au XIIe siècle. Bien que le règne d’al-Ma’mûn soit traversé par des troubles politiques et des rébellions sporadiques, homme de lettres et épris de sciences, al-Ma’mûn  va fonder la Maison de la Sagesse, Bayt al-Hikma, qui sera le symbole de la prédominance culturelle du monde musulman à cette époque.

Un calife de lettres et d’esprit 

La Bayt al-Hikma va regrouper les plus grands esprits de l’époque, elle comptera des ateliers de traductions, des « laboratoires » de recherches, et même un observatoire astronomique. Des noms prestigieux comme al-Kindî, al-Khawarizmi, al-Hajjaj Ibn yusuf Ibn Matar (premier traducteur en arabe des Eléments d’Euclide et de l’Almageste de Ptolémée), le mathématicien sabéen, Thabit b. Qûrra (qui donnera pour les mathématiques « le nombre Thebit », ou en astronomie, un cratère lunaire qui porte son nom, « Thebit »), et le grand traducteur chrétien Hunayn b. Ishâq en feront partie. D’autres, comme al-Jâhiz, seront des proches de cette institution.

C’est une époque de grande stimulation intellectuelle. Une légende raconte qu’un jour al-Ma’mûn a rêvé d’Aristote. C’est ainsi que Ibn Nadim nous raconte ce songe :

« Le calife al-Mamûn vit en songe un homme au teint clair coloré de rouge, au front large ; ses sourcils se rejoignaient ; il avait la tête chauve et les yeux bleus foncé, ses manières étaient affables ; il était assis dans la chaire. J’étais, dit al-Ma’mûn, tout contre lui et j’en fus rempli de crainte. Je lui demandai : “ Qui es-tu ? “ Il me répondit : “ Je suis Aristote. “ Cela me réjouit et je lui dis : “ Ô sage, je vais te questionner. “ Il me dit : “ Questionne. “ Je lui dis : “ Qu’est-ce que le bien ? “ Il me répondit : “ Ce qui est bien selon la raison. “ Je lui dis : “ Et après ? “ Il répondit : “ Ce qui est bien selon la révélation. “ Je lui dis : “ Et après ? “ Il me répondit : “ Ce qui est bien aux yeux de tous. “ Je lui dis : “ Et après ? “ Il me répondit : “ Après, il n’y a pas d’après. “ »[1]

Le premier calife mu’tazilite

Al-Ma’mûn adopte le mu’tazilisme et en fait la doctrine officielle en 827 ap.-J.C. Six ans plus tard (833 ap.-J.C.), il impose le dogme du Coran créé auprès des hauts fonctionnaires qui constituent l’élite religieuse. Certains subiront la Mihna (épreuve) qu’impose le calife, dont la victime la plus célèbre est Ahmad b. Hanbal (m. 855) qui défend la thèse du Coran incréé.

Alors qu’il est en campagne contre les Byzantins, Al-Ma’mûn meurt à Tarse (Turquie actuelle) en 833 ap.-J.C. La Maison de la Sagesse et le mu’tazilisme se maintiendront encore sous les deux premiers successeurs du calife (al-Mu’tasim – m. 842 – et al-Wâthiq – m. 847), avant de subir la politique de restauration du sunnisme traditionaliste et l’attaque contre les minorités religieuses avec al-Mutawwakil (m. 862).

[1]Traduit du Fihrist d’Al-Nadim par Jean Jolivet dans son ouvrage Penser avec Aristote. Extrait du texte Les Grecs, les Arabes et nous, sous la direction de Philippe Büttgen, Alain de Libera, Marwan Rashed, Irène Rosier-Catach, Fayard.