Ma chronique précédente parlait de la nécessité de contextualiser le Coran pour éviter de lui faire dire des choses qu’il ne dit pas car il ne s’adressait pas à nous. On pourrait penser que je vis une foi déiste puisque je refuse d’imiter à la lettre un texte du passé et que pour moi il n’y aurait aucun génie dans le texte coranique. Je comprends que l’on puisse penser cela mais c’est pourtant faux. Je suis mutazilite donc j’estime que ma raison et mon cœur sont les juges ultimes dans ma pratique spirituelle et non le texte, ce qui ne veut pas dire que je le rejette mais que je cherche à le relativiser : tout ne se vaut pas dans le Coran, tout n’est pas de même nature.
Il faut savoir utiliser son discernement naturel (et non pollué par des dogmes) pour savoir distinguer les nuances de tons, d’intentions et d’objectifs littéraires du contenu coranique. Je rejette donc simplement tout ce qui est inadéquation avec cette raison et ce cœur. C’est cela mon critère ultime pour décider si j’adhère oui ou non à certains versets du texte. Pourtant, cela ne m’empêche pas de méditer des heures et des heures sur un passage pour essayer d’en saisir le sens ésotérique. La critique historique n’empêche pas le progrès spirituel, je dirais même qu’elle l’alimente, en tout cas en ce qui me concerne.
Mais avant cela, j’essaye autant que possible d’appliquer aux versets du Coran les critères suivants pour les prendre en compte ou non dans ma spiritualité :
1/ Tout verset qui va à l’encontre de l’assentiment naturel de mon cœur, qui prône l’inverse de l’empathie, l’amour, la bienveillance et la tolérance n’est pour moi pas à prendre en compte.
2/ Tout verset qui n’est pas en accord avec les vertus et valeurs des droits de l’Homme n’est pour moi pas à prendre en compte.
3/ Tout verset qui va à l’encontre de la logique de l’unicité divine, de Son Amour et de Sa Sagesse ne privilégiant ainsi que sa Toute-Puissance et sa seule capacité à punir n’est pour moi pas à prendre en compte seul.
4/ Tout verset qui a eu une cause bien précise dans sa révélation (question explicite posée à Dieu par Muhammad ou sa communauté, réaction suite à un événement, etc.) ou qui fait référence à un événement précis du temps de Muhammad ou encore à des pratiques ancrées dans cette époque n’est pour moi pas à prendre en compte.
Cela fait beaucoup de critères me direz-vous mais il me semble qu’il faut être rigoureux dans notre méthode de lecture pour à la fois conserver les sagesses incluses dans le Coran telles qu’elles ont été comprises à l’époque et non comme elles ont été comprises par la suite tout en écartant toute possibilité d’instrumentaliser ce dernier pour commettre des crimes nauséabonds ou des discriminations ne serait-ce que symboliques.
Je vois dans le dogme du Coran incréé non seulement un manque de logique (limitation de l’éternité de Dieu), mais aussi un risque de faire advenir des conséquences mauvaises et néfastes pour l’humanité.
Je m’explique : soit les partisans extrémistes du Coran intouchable et non contextualisable vont aller jusqu’au bout et ainsi justifier les pires atrocités comme le meurtre ; soit les partisans plus modérés du Coran incréé vont accepter qu’une seule partie est créée (celle qui incite au meurtre par exemple ou tout verset guerrier) mais que le reste est toujours incréé.
Ces derniers malgré leur bienveillance apparente ne font que finalement justifier d’autres formes d’intolérances plus symboliques. Outre les versets guerriers et violents, on trouve énormément de versets qui classifient les êtres humains : entre ceux qui ont la foi (mu’minûn), ceux qui dénient les signes divins (kuffâr), les hypocrites (munâfiqûn) ou encore les codéificateurs (mushrikûn), etc. Ces versets menacent ceux qui n’ont pas la foi d’une sévère correction dans l’au-delà et de croupir en Enfer pour l’éternité. Si ces versets n’appellent certes pas au meurtre, ils n’en sont pas moins très intolérants. Les considérer comme incréés, c’est-à-dire comme valables encore aujourd’hui, c’est finalement justifier ces formes de discriminations et de violence symbolique qui consistent à hiérarchiser les êtres humains.
De même pour les versets qui concernent les rites et les dogmes et se présentent souvent comme étant la Vérité absolue : ils sous-entendent que celles et ceux qui ne les suivent pas à la lettre croupiront eux-aussi en Enfer et sont de mauvais(es) musulman(e)s. Penser ces rites comme des obligations, c’est dire qu’il existerait un idéal et des degrés entre les musulman(e)s et finalement nier la liberté individuelle et de conscience de chacun(e).
Cette seconde position « modérée » dans la lecture du Coran est pour moi intenable car elle peut faire advenir des choses dangereuses car toute intolérance même minime peut mener à la violence. C’est pourquoi il est nécessaire de hiérarchiser tous les types de versets du Coran et bien comprendre leurs intentions premières. Je ne parle ici que du sens littéral, libre ensuite à chacun(e) d’y voir des sens ésotériques qui sont multiples sans jamais les imposer aux autres.
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