Il y a bien des problèmes qui se posent aux musulmans aujourd’hui. Des problèmes de toute nature et en tous genres. Parmi les questionnements qui assaillent les musulmans aujourd’hui, surtout en Occident, on trouve la problématique du voile.

Le fait qu’il soit demandé aux femmes musulmanes de se voiler les cheveux avec un bout de tissu est-il une obligation religieuse ? Ce voilement est-il un commandement divin ou une interprétation humaine ?

Il est aujourd’hui évident que le voile a largement dépassé les questions théologiques, et a investi le domaine de la société, voire même de la politique. En somme, le voile recouvre désormais des enjeux identitaires. Beaucoup de jeunes filles se voilent, de différentes manières, parfois, elles ne prient pas. Ce qui est paradoxal, si l’on examine la question d’un point de vue théologique ; mais compréhensible si on analyse la question d’un point de vue sociologique. Se voile-t-on par besoin spirituel ou par revendication religieuse ou même par revendication culturelle et ethnique ? Se voile-t-on par choix ou par contrainte ? Mentionnons que cette contrainte peut venir de la famille, lorsqu’il y a contrainte explicite verbale ou physique, ou simplement lorsque l’on se voile pour imiter des traditions ancestrales et « faire plaisir » à son entourage, et il existe la contrainte la plus violente qui est celle de la loi et de la violence physique dans certains pays musulmans.

Dans beaucoup d’endroits où les musulmans constituent des parties importantes des populations locales, le port du voile s’est répandu. Parfois, des femmes se sentent « encouragées » à porter le voile sans quoi, elles prennent le risque d’être considérées comme laxistes, voire tout simplement non musulmanes, par leurs coreligionnaires.

Laissons les solutions à ces problèmes aux autorités compétentes. Ici, je vais me contenter d’apporter une réponse théologique à la question du voile. Qu’en est-il de cet attribut vestimentaire lorsque l’on adopte une lecture rationaliste (mutazilite) ?

Analyse théologique

Tout musulman qui souhaite trouver des éléments de réponse doit commencer par revenir au Texte. Alors que dit le Coran sur le voile ? Deux références sont souvent utilisées et mises en exergue pour justifier le fait de se cacher les cheveux par les femmes. Les voici :

« Dis aux croyants de baisser une partie de leur regard et de contenir leur sexe : ce qui sera plus pur pour eux, Dieu est informé de leurs pratiques. / Dis aux croyantes de baisser de leur regard et de contenir leur sexe (furûjahunna) ; de ne pas faire montre de leurs agréments, sauf ce qui en apparaît, de rabattre leurs fichus/écharpes (bi-khumurihinna) sur leurs poitrines (juyûbihinna). Elles ne laisseront voir leurs agréments (zînatahunna) qu’à leur mari, à leurs enfants, à leurs pères, beaux-pères, fils, beaux-fils, frères, neveux de frères ou de sœurs, aux femmes, à leurs captives, à leurs dépendants hommes incapables, ou garçons encore ignorants de l’intimité des femmes. Qu’elles ne piaffent pas pour révéler ce qu’elles cachent de leurs agréments. Par-dessus tout, repentez-vous envers Dieu, vous tous les croyants, dans l’espoir d’être triomphants… » (24:30-31)

Le port obligatoire d’un voile par les femmes pour se couvrir les cheveux, est tout sauf décisif. Le mot khimâr (pl. khumur) est un fichu, une sorte d’écharpe, ou encore tout ce qui cache et dérobe aux regards. Asma Lamrabet, dans son livre Femmes et hommes dans le Coran : quelle égalité ? précise que :

« Les commentaires classiques rapportent que les femmes arabes de La Mecque avaient l’habitude, lorsqu’elles sortaient, de porter leurs foulards en rabattant ses pans derrière leur cou, autrement dit, en laissant la gorge et le haut de la poitrine découverts ; d’où l’injonction coranique qui invitait les femmes croyantes à rabattre leurs pans de khimâr sur leurs bustes ».

La question de la traduction de juyûb est aussi à aborder. Le terme vient de la racine jâba. Plusieurs sens lui sont attribués : (1) couper, fendre, faire une ouverture, (2) élargir, (3) traverser, parcourir. Le jayb (pl. juyûb) désigne une ouverture sur le devant d’un vêtement, il peut aussi nommer une poche ou plus génériquement, toute ouverture, fente, crevasse. Certains peuvent y voir le sens de la fente vaginale, d’autres peuvent y voir l’ouverture causée par un décolleté qu’il faudrait couvrir ou encore le postérieur.

En tout cas, les cheveux des femmes ne sont pas évoqués, et ils ne sont pas évoqués ailleurs dans le Coran. Comment tirer une obligation absolue de quelque chose d’absent du Coran ? Car disons le clairement, s’il est permis de trouver dans ces versets un indice pouvant mener au voile, il est indirect, et donc très loin de recouvrir une valeur normative et absolue. Le Coran appelle surtout les femmes à couvrir leurs poitrines, autrement dit, il appelle les femmes, mais aussi les hommes (24:30), à la pudeur.

Quant au terme traduit par « chasteté« , il donne en arabe le farj (pl. furûj) : issu de la racine fa-ra-ja : (1) fendre, pourfendre, (2) écarter, dissiper, espacer. Le farj désigne toute fente, fissure, crevasse et par extension les parties honteuses avant et arrière de l’homme et de la femme. Mentionnons la proximité sémantique des termes farj et jayb désignant tous les deux cette idée de fente.

Le terme traduit par « atours, agréments » donne en arabe : zîna, de la racine zâna : (1) orner, embellir, parer, décorer, pavoiser, (2) pousser, faire marcher devant soi. Le zîna désigne un ornement, l’éclat, le lustre, ou encore quelque chose dont on se pare notamment pour un jour de fête (habit neuf, brillant…).

Une expression passe très souvent inaperçue dans ce verset 31, à savoir « sauf ce qui en apparaît ». Les femmes doivent donc cacher leurs agréments, sauf ce qui en apparaît… Par agrément, il est tentant de comprendre les agréments « naturels » en premier lieu. Les seins, et la partie basse du corps principalement, même si cela n’est pas directement évoqué ; ceux-ci étant davantage évoqués par l’idée de fente dans farj et jayb. Puis il est possible de penser aux agréments artificiels, comme les bijoux et les parures. Ainsi, dans ces agréments quels sont ceux qui apparaissent ? Le verbe utilisé est zahara signifiant (1) paraître, apparaître, (2) être évident, clair, (3) faire voir, divulguer… Le verbe a donné al-Zâhir, un des 99 noms de Dieu : le visible, autrement dit ce que l’on voit à l’extérieur, ce qui est à l’extérieur. Le terme désigne aussi le sens littéral d’un verset ou encore les faits et gestes du croyant ; donc ce qui se voit. Ici, dans ce contexte corporel, on pourrait en déduire que ce qui apparaît serait ce qui est à l’extérieur du corps sauf les « fentes » dont il est question dans les termes de farj et jayb.

Est-il exagéré de penser que les cheveux font partie des « agréments » qui apparaissent et qu’il est possible de montrer ? Auquel cas, se couvrir les cheveux irait même contre la permission coranique de laisser voir de la beauté féminine, ce qui en « apparaît ». Que l’on soit d’accord ou non avec ces idées, il est quasiment impossible de voir dans ces passages des commandements divins de se couvrir les cheveux. Tout au plus, en exagérant le trait, un vague conseil.

Autre verset utilisé pour contraindre les femmes à porter le voile :

« Prophète, dis à tes épouses, à tes filles, aux femmes des croyants de revêtir leurs voiles (jalâbîbihinna) : sûr moyen d’être reconnues (pour des dames) et d’échapper à toute offense. Dieu est Tout indulgence, Miséricordieux. » (33:59)

Quant à la deuxième sourate, celle des Coalisés, même en évitant d’avoir recours aux asbâb al-nuzûl (circonstances de la Révélation), deux choses méritent d’être clarifiées : le sens du mot jilbâb, et la deuxième partie du verset « sûr moyen d’être reconnues (pour des dames) et d’échapper à toute offense ». Soyons concis, le jilbâb, désigne en arabe, selon Asma Lamrabet (op. cit.) :

« Tout ce qui peut se porter au-dessus des vêtements. C’est ce qui correspond à un par-dessus ou à une cape. »

Donc le verset dit aux femmes de se vêtir d’un par-dessus, ou d’une cape…très bien, mais Dieu ne recommande rien arbitrairement, alors pourquoi recommande-t-Il aux femmes de porter un par-dessus ? Le verset lui-même répond à la question : « sûr moyen d’être reconnues (pour des dames) et d’échapper à toute offense ». Ce qui veut dire, que le but rechercher est la préservation du respect et de la dignité des « dames » à cette époque.

Si le respect et la dignité des femmes ne sont plus indexés sur leur manière de s’habiller, alors la prescription (qui n’évoque d’ailleurs à aucun moment les cheveux, ni même la tête), n’a plus de sens.

Or, Dieu ne recommande, ni n’ordonne, rien d’inutile, ainsi, dans le Coran :

« Nous n’avons pas créé le ciel et la terre non plus que leur entre-deux, par jeu ; / au cas où Nous aurions voulu Nous donner divertissement, Nous l’eussions tiré de Notre sein, tant qu’à faire ; / mais non ! Nous assénons au faux le Vrai qui lui casse la tête, et voici le faux qui disparaît. Malheur à vous en vos affabulations ! » (21:16-18)

Ainsi, Dieu n’ordonne ou ne recommande rien de manière arbitraire, la création divine n’est pas un jeu. Tout ordonnancement ou recommandation possède un sens (maqsid). En prenant en considération cette donnée essentielle du maqsid, le voile en terme d’accessoire vestimentaire perd toute pertinence.

En somme, les défenseurs du voile auront massivement recours aux hadiths (discussions) du Prophète pour justifier l’imposition du voile. Outre les circonstances historiques qui expliquent comment le voile s’est répandu auprès des musulmanes quasiment, contre la volonté de l’Envoyé de Dieu (et surtout sous l’insistance de certains de ses proches compagnons) ; rappelons simplement que dans les sciences religieuses, les hadiths font partie de la catégorie des preuves au statut « dhani », à savoir relatif, voir même, douteux (dhani al-thubut al-dalala). Alors que le Coran a pour statut « qat’i », à savoir, absolu, certain (qat’i al-thubut al-dalala). A partir de là, comment conclure à une législation religieuse aussi rigide sur le voile ? Dieu seul sait, cela m’échappe complètement.

A aucun moment le Coran n’évoque le voile au sens où on l’entend aujourd’hui. Le hijab évoqué dans le Coran fait toujours référence à un rideau, un paravent, à quelque chose qui sert de séparation physique quand on s’adresse aux femmes du Prophète. Le Coran nous le rappelle par ailleurs :

« Ô femmes du Prophète ! Vous n’êtes comparables à aucune autre femme » (33:32)

A aucun moment le voile, tel que compris aujourd’hui, n’est conceptualisé ni même explicitement évoqué. Les versets qui définissent la vraie croyance ne s’intéressent pas une fraction de seconde au mode vestimentaire. Il suffit pour s’en convaincre que se référer aux versets 177 et 285 de la sourate 2, par exemple.

Analyse sociologique

Maintenant, peut-être serait-il utile de voir ce que cache le voile en terme d’enjeux. A mon sens, le voile recouvre une réalité anthropologique, voir ontologique évidente : l’identité. Il sert à s’affirmer face à autrui, voire à revendiquer l’appartenance à un groupe, à une communauté. Beaucoup de jeunes issus de parents maghrébins ou subsahariens, ayant conscience de ne pas être pleinement acceptés comme Français – bien que nés et ayant grandi en France – ont tout aussi conscience de ne pas être des ressortissants des pays dits « d’origine ». Se trouvant en zone apatride, en ce sens, où ils ne se sentent ni d’ici ni de là-bas, ils ont recours à la seule source de valeurs pour qui l’appartenance nationale ne compte pas, la religion, donc l’islam.

Pour d’autres femmes, ce sont les discours des télévangélistes (des chaines de télévisions satellitaires religieuses islamiques financées par des pays du Golfe persique) qui ont martelé dans les consciences des hommes et des femmes qui les écoutent que le voile est un attribut essentiel et nécessaire à la vertu musulmane. Persuadées que leurs vertus étaient intimement liées à ce bout de tissu, beaucoup de femmes sont incapables de le retirer, quand bien même leur vision des choses changerait. Dans leur cas, le voile est comparable aux grigris qu’associent les personnes superstitieuses à leur bonheur et à leur sécurité.

Je ne parle pas ici des femmes qui sont contraintes de porter le voile. Il faut aider ces femmes, et ces jeunes filles de se libérer de toute emprise possible. Pour ce faire, il faut recourir aux autorités publiques et à la loi qui permet aux gens de vivre libre. Je n’en parle pas car toute contrainte dans un sens ou dans l’autre est condamnable moralement et judiciairement. Pas de débat sur ce point.

Mais, en ne prenant en considération que la possibilité d’agir librement ; libre à chacune de se couvrir les cheveux ou non. Mais de grâce, n’en faîtes pas un fondement de la foi musulmane, ni même une pratique liée au Coran ou à l’exemple du Prophète. Aujourd’hui le voile est devenu à mes yeux la matérialisation de l’ignorance des musulmans de leur propre religion. Plus encore, le voile, superficiel dans son essence, ne saurait justifier, ni prouver, ni être le signe de quoique ce soit en terme de vertu religieuse. Mais il consacre la victoire de l’instant sur l’Histoire ; il consacre la victoire de la compréhension vide et creuse, sur la signification et sur la sagesse. Principe philosophique connu, très bien traduit par Pierre Desproges d’un point de vue humoristique, qui lui parlait de culture, notion à laquelle nous pouvons associer la culture religieuse : « la culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale. »

Pourtant, le Coran est très explicite sur les « vêtements » du croyant, homme et femme. Quiconque connaît un peu son Coran le sait. Un verset en parle, il clôturera d’ailleurs cet article. Il a pour mérite, contrairement aux ambiguïtés liées à la question du voile, d’être très explicite et rendant assez futile toutes ces questions liées au voile :

« Ô enfants d’Adam, nous vous avons dotés de vêtements (libâs) pour couvrir votre nudité, ainsi que des parures (rîsh), mais le meilleur vêtement est certes celui de la piété (libâs al-taqwâ) ; c’est là un des Signes de Dieu afin qu’ils se rappellent. » (7:26)