Le 4 juin 2022, nous avons eu le plaisir d’accueillir Pierre-Olivier Léchot, dans notre Cercle de l’ARIM (rencontre), auteur du livre Luther et Mahomet, le protestantisme d’Europe occidentale devant l’islam XVIe-XVIIIe siècle. Après une présentation très intéressante de son ouvrage, nous avons eu un très agréable moment d’échanges avec les personnes présentes. Nous remercions encore Monsieur Léchot pour ce moment très bénéfique et très enrichissant. Voici un article qui rend compte de l’ouvrage en lui-même en espérant qu’il vous donnera envie de vous y plonger.

 

L’histoire du rapport entre différentes religions est quelque chose de très importante, quelque soient les confessions en question. Car cela met en relief à la fois le rapport entre les individus historiques qui sont porteurs de ces religions, mais aussi les influences possibles, voulues ou non, entre religions… Or, s’il y a bien deux religions présentant des profils souvent rapprochés, on pense au protestantisme et à l’islam.

L’intérêt des protestants pour l’islam commence avec…Luther

Pierre-Olivier Léchot, docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut protestant de théologie de Paris (IPT), s’est penché sur la question du rapport entre le protestantisme et l’islam, entre le XVIe et le XVIIIe s. L’ouvrage est très instructif et très bien documenté. Il nous permet de commencer à comprendre pourquoi islam et protestantisme ont été associés assez vite dans l’histoire.

Martin Luther, le moine allemand initiateur de la Réformation protestante cloua ses 95 thèses sur les portes de l’église de Wittenberg en 1517. Or, neuf ans plus tard, le sultan Ottoman, Soliman le magnifique, remporte une grande victoire à Mohacs en Hongrie, contre une alliance chrétienne de prestige (regroupant le roi de Hongrie, Louis II, mort pendant la bataille, mais aussi les royaumes de Croatie, de Bohème, de Pologne, le Saint-Empire romain germanique, le duché de Bavière, et les États pontificaux). Ainsi, le XVIe s. apparaît comme étant le siècle de l’apparition d’une puissante armée d’envahisseurs infidèles (musulmans Ottomans) venue de l’extérieur de la Chrétienté ; et l’émergence, à l’intérieure de cette même Chrétienté, d’une sédition interne (protestante). Beaucoup ont associé les deux événements, et faits du protestantisme un pendant intérieur de l’attaque extérieure venant des musulmans turcs. Renvoyant ainsi protestants et musulmans dos-à-dos comme deux faces d’une même médaille.

Une vraie proximité théologique ?

Il est vrai que certains aspects théologiques montrent une certaine proximité : l’idée de la prédestination, l’importance accordée aux Écritures, le rejet du culte marial, l’iconoclasme…sans oublier pour certains, une christologie différente. Plus encore, ce sont les propos ambigus de Luther sur l’islam, entre condamnation et lecture plutôt « positive » de la puissance Ottomane, perçue comme le bras armé de la punition divine contre les puissances chrétiennes en vérité dévoyées. Luther, avec d’autres figures de la réforme, notamment le pasteur Bibliander, sera impliqué dans l’une des premières tentatives de traduction et d’impression du Coran en Europe. Non pas dans un but apologétique, évidemment, mais pour mieux comprendre l’islam afin de mieux le combattre, sur le terrain théologique.

L’un des fils rouges du livre sera d’ailleurs de montrer une ligne de tension qui traverse la pensée protestante : quelle est la nature de la différence entre protestantisme et Islam ? Entre crainte d’être identifié à l’autre et confondu avec lui, mais aussi volonté d’affirmer une identité propre, originale et chrétienne. Question d’autant plus importante qu’après la controverse de Genève, opposant le réformateur française Jean Calvin au réformateur espagnol Michel Servet, la frontière entre protestantisme et islam risquait d’être d’autant plus troublée. Le réformateur espagnol étant un antitrinitaire, ou unitarien, niant la Trinité. Principe devenu pierre de touche du christianisme. C’est ce qui vaudra à Servet de finir brûlé dans un bûché calviniste, lui qui avait fui les bûchers catholiques de son Espagne natale. Car au final, plus que de la liberté théologique, n’est-ce pas la proximité de l’idée unitarienne avec l’islam que Calvin rejeta plus que tout ? est suspect d’une forme de proximité, voire d’une façon cachée d’être « turc » (musulman).