Assister à un colloque d’une envergure internationale et qui porte ambition monumentale est le vœu de n’importe quel musulman éclairé. Rassembler un tel panel de spécialistes est déjà un exploit en soi.
C’est ce que Steven Duarte (direction scientifique, maître de conférences arabe / islamologie à l’Université Paris 13), Omero Marongiu-Perria (chercheur associé à l’Institut pour le pluralisme religieux et l’athéisme – Université de Nantes) et Djuhra Benchir (aumônier militaire du culte musulman (ministère des Armées – Paris École Militaire) ont réussi à faire les 29 et 30 septembre dernier à l’EHESS (cf. ce lien pour plus d’informations).
Tout d’abord, bien que se prétendant réformistes, les personnalités en présence n’ont ni les mêmes approches, ni les mêmes visions de la réforme. Partant de ce constat, nous aurions pu avoir droit à des débats palpitants. Le but de ce colloque était aussi d’offrir un dialogue entre public et intervenants. S’articulant en une journée et demi, et vu le nombre conséquent d’intervenants, un sentiment de précipitation et d’inachevé ne peut être nié.
La première journée a débuté avec une brève présentation d’Omero Maroungiu-Perria et de Steven Duarte sur l’historique de l’IISMM (Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman) ainsi que ses missions.
Mohamed Haddad, disciple de Mohamed Arkoun, ouvre le bal en explicitant les débuts de la réforme (1800 à 1950) et en essayant de la définir dans le contexte islamique. Pour M. Haddad, le besoin de réforme est universel et n’est pas une exception musulmane. Ce mouvement islamique, qui prend ses racines au XIXe siècle, provient de la mondialisation du modernisme, le monde musulman ne pouvait donc pas rester léthargique plus longtemps. S’ensuit alors l’énumération de trois islam modernes :
- L’islam traditionnel,
- L’islam fondamentaliste,
- L’islam réformiste.
Mohamed Haddad insiste néanmoins sur l’absence de lien causal entre les éléments de cette liste. Bien que se prétendant réformistes, l’intervenant récuse aux frères musulmans et aux wahhabites cette qualification.
La présentation de Steven Duarte soutient que la réforme (islâh) est apparue suite à la découverte de l’altérité. Cinq critères interdépendants se dégagent :
- Conscience de la crise profonde (retour aux salaf salih),
- Normativité de la religion et de la contemporanéité,
- Position d’ouverture vis-à-vis de l’altérité,
- Horizon d’attente prioritaire (l’islâh s’adresse principalement aux musulmans),
- Maitrise certaine du langage du patrimoine classique.
Mohamed Haddad, Steven Duarte et Dominique Avon se rejoignent dans le rapport à l’islâh. En effet, les mouvements fondamentalistes essaient tant bien que mal de se décréter islâhi, tout en validant le paradigme hégémonique qu’a brillamment décrit Omero Marongiu-Perria dans son ouvrage Rouvrir les portes de l’islam.
Les questions du public qui suivirent se concentraient principalement autour de la définition de la réforme. Ces questions n’étaient pas dénuées d’intérêt et permettaient de s’attarder sur le concept.
Asma Lamrabet a, quant à elle, fait émerger le débat quant au statut de la femme en islam. Pourfendant le fiqh, le médecin de formation commentait les versets coraniques relatifs à l’héritage avec un œil nouveau, sans avoir besoin de la jurisprudence écrite par et pour l’islam du Moyen-âge. S’ensuit l’intervention de Hmida Ennaifer sur le réformisme musulman au Maghreb.
Hicham Abdel Gawad, ancien professeur de religion islamique en Belgique, est venu éclairer, avec beaucoup d’humour, la situation dramatique de l’islam tel qu’il est perçu par les jeunes en Occident. Il a choisi un extrait particulièrement choquant du fiqh décrétant mécréant toute personne abandonnant la prière. En utilisant son propre parcours, l’argument d’autorité ainsi que le taqlîd (sans forcément le nommer) sont ici critiqués à l’aide de la raison.
La présentation sur le Coran expliqué exclusivement par le coran de Cyrille Moreno al-Ajami, bien que très technique, ouvre un horizon nouveau sur la compréhension du Coran à l’époque du Prophète, tout en s’éloignant radicalement du tafsîr classique.
En restant finalement assez neutre vis-à-vis du fiqh actuel, Mohamed Bajrafil et Ousmane Timera se contentaient de souligner la nature humaine des fuqahâ’ (praticiens du fiqh). Face à ce constat, le but était de ne pas jeter tout ce qui provenait de figures telles qu’Ibn Taymiyya ou Nawawi, mais de scruter le bon dans leurs écrits, sachant qu’ils sont à l’origine d’une série d’appels au meurtre plus ou moins assumés. Bien que ce but est en soit louable, un certain relativisme vis-à-vis des textes nous pousse à réfléchir au contenu. Mohammed Bajrafil a très bien fait de citer al-Shâfi’î (fondateur d’une des quatre écoles juridiques du sunnisme) qui assumait son changement d’approche lorsqu’il s’établit en Égypte. S’il faut évoluer d’approche lors d’un changement géographique, pourquoi ne pas faire de même lorsque l’évolution est temporelle ? Poser ne serait-ce que la question engendre une crispation générale, irritante, dérangeante et finalement irraisonnable. La raison est reléguée au placard lorsque l’on évoque les grandes figures du fiqh, ce sont désormais les tenants de la Vérité immuable, sachant que les sources de la jurisprudence peut être une analogie (qiyâs), l’intérêt public (maslaha) ou lorsque l’on se place chez Abû Hanîfa : l’avis personnel (ra’y) ! Le fiqh ne peut plus guider nos vies car les auteurs du Moyen-âge ont fait leurs temps et deviennent anachroniques. Faut-il construire un nouveau fiqh ?
Le recteur de la mosquée de Bordeaux, Tareq Oubrou, ainsi que Ghaleb Bencheikh ont donné, dans un style radicalement différent, une vision d’une possible réforme en islam. Ce débat a été animé par Ousmane Timera et Michaël Privot, figure emblématique de l’islam réformiste belge.
Finalement, notre association a pu être présentée par l’un de nos membres, Imaad Hallay. Les missions de l’ARIM ont été mises en exergue ainsi qu’une présentation historique du mutazilisme jusqu’à nos jours. Vous pouvez consulter ici le diaporama qui a été présenté pour cette occasion et lire ou relire notre page d’accueil qui présente les principaux objectifs de notre association.
Finalement, l’instigation d’un tel colloque ne peut être que positive pour l’avenir de l’islam. Le débat y a été vif, parfois assez technique, bien que très (trop) peu de temps a pu être offert au public. Le mot de la fin a pour moi été une remarque fort judicieuse d’Asma Lamrabet :
« Arrêtez avec votre métaphysique, les gens veulent du concret ».
Impossible de ne pas être d’accord, la métaphysique est certes primordiale, mais l’attente des musulmans se veut sur des aspects pratiques. L’historiographie et le fiqh y ont été critiqués, mais peu ou pas du tout du statut de la principale source du fiqh : le hadith.
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