On ne cesse d’enjoindre aux musulmans et musulmanes d’inventer un islam adapté à notre époque. C’est effectivement une nécessité pour éviter que cette belle spiritualité ne soit prise en otage par des idéologies rétrogrades et inhumaines. Mais comment faire ? De quels principes partir pour tracer une route qui sera longue et difficile ?
Ces principes doivent s’inspirer des nouvelles valeurs qui sont celles de notre temps. À chaque époque, les modes de pensée ont évolué, en fonction des nouvelles nécessités. Pourquoi donc ne pas faire de même pour l’islam ? Nous proposons ici quatre principes qui pourront peut-être inspirer les musulmans et musulmanes du XXIe siècle désireux et désireuses de reproduire la geste prophétique dans son esprit et non à la lettre. Le but de cette dernière fut d’innover et d’inventer de nouvelles façons de croire et de vivre en société. Se consacrer à la liberté, à l’autonomie, à l’essentiel et à la connaissance critique pourraient être quatre principes fondamentaux et interdépendants pour faire naître un islam du XXIe siècle.
La liberté
Liberté car chacun et chacune a le droit de prier comme il ou elle le désire, que chacun et chacune a le droit d’accomplir les rites de la manière qui lui semble la plus nourrissante. Personne n’a le droit de juger son ou sa coreligionnaire et encore pire, de lui interdire quoi que ce soit. Chacun et chacune doit faire un examen de conscience pour savoir ce qui lui convient le mieux pour trouver sa voie vers Dieu, sans que l’on puisse lui dénier le qualificatif de musulman ou de musulmane.
Rappelons que le Coran nous demande de rejeter le munkar : c’est-à-dire l’ignorance et aussi la médisance, à savoir le fait de renier autrui dans son droit à exister et à se considérer comme musulman ou musulmane mais aussi le fait de considérer autrui comme inférieur à soi au niveau spirituel. Chacun doit tracer son propre chemin vers Dieu. La voie droite (al-sirâtu l-mustaqîm) n’est pas celle dictée par une orthodoxie ou une orthopraxie majoritaire, mais celle qui correspond le mieux à chacun et à chacune, celle qui est la plus adaptée et la plus juste.
Cependant, deux critères sont nécessaires pour que tout le monde se sente libre : le respect d’autrui et la responsabilité de ses choix (réfléchir à leurs incidences sur l’islam et la société). Bien sûr, cette liberté s’apprend, s’entretient jour après jour. Pour cela, l’éducation est la clé.
L’autonomie
C’est la capacité de se donner ses propres lois suite à un examen approfondi des textes de l’islam. Il s’agit de ne plus se référer à un ouléma, à un imam ou bien pire encore à des cheikhs des siècles passés. Nous ne sommes pas un troupeau qu’il faudrait guider, préjugeant ainsi que les musulmans et les musulmanes ne pourront jamais sortir d’un âge enfantin et qu’il faudrait guider pas à pas ou bien gronder de temps à autre.
Nous sommes les successeurs de Dieu sur terre et le Coran appelle à entrer dans une ère d’autonomie spirituelle où chacun serait suffisamment éduqué pour à terme décider par et pour lui-même ses choix spirituels. C’est pourquoi il faut mettre à terre toutes les structures pyramidales qui nous soumettent. Ces dispositifs de relations inégalitaires entre les Hommes doivent être abolis et dépassés.
L’essentiel
Se concentrer sur ce qui est essentiel et nécessaire. C’est d’ailleurs le sens étymologique du terme coranique al-haqq qui désigne ce qui est nécessaire, ce qui ne peut pas être autrement car c’est ce qui est exactement adapté à une situation, à une personne ou à une époque. Il s’agit de rechercher la voie du juste milieu, de la justesse et celle de la vigilance constante pour élaborer un islam mesuré. Se consacrer à cette nécessité, c’est donc se débarrasser de toutes les futilités et du superflu. Ainsi, toute habitude bigote et inutile pour le développement de l’islam, de l’humanité ou d’une société est à rejeter, ou en tout cas, à reléguer sur un plan secondaire (cf. cet article pour plus d’informations).
D’un point de vue théologique, l’essentiel est le tawhîd, l’unicité divine : il s’agit donc de préserver cette unicité avant toute chose : être attiré par Dieu, ce n’est pas se focaliser sur des choses futiles, évanescentes, c’est-à-dire des idoles. Se diriger vers Dieu, c’est garantir tout ce qui nous relie au monde et écarter ce qui nous désunit. C’est également ne pas limiter Dieu à une seule forme.
Or, l’imitation (taqlîd) de la norme est devenue une obsession en islam voire un but ultime et remplace totalement la recherche de la connaissance de Dieu de manière directe, grâce à la raison ou l’intuition. La norme et le rite semblent avoir remplacé chez certain(e)s Dieu dans le but du cheminement spirituel. Nous distinguons ici ceux qui ne voient dans les rites qu’un but pour accéder au salut et s’arrêtent à ceux-ci, et ceux qui y voient au contraire un moyen de réveiller leur intériorité, pour prendre conscience de l’unicité et enfin se consacrer à propager le bien dans la société dans laquelle ils vivent pour s’y investir pleinement et la transformer, plutôt que de la rejeter.
Nous pourrons préserver le tawhîd en faisant avant tout progresser l’humanité et préserver sa bonne Santé (n’est-ce pas le sens primaire d’islam ?) : à savoir participer à l’amélioration des liens sociaux, du développement matériel (accès aux besoins essentiels pour vivre décemment), spirituel et culturel, la protection de l’environnement, etc.
Le développement de la Vie sous toutes ses formes est le cœur de l’islam : il s’agit de tout faire pour qu’elle triomphe : d’après l’étymologie arabe, le mu’min (croyant) n’est pas seulement celui qui croit, mais surtout celui qui inspire la confiance et diffuse la sauvegarde et la sécurité autour de lui. Tout comme le muslim est celui qui propage partout la paix, qui préserve le bon état d’une chose.
Cela peut passer par de multiples outils qui ne sont pas proprement religieux mais tout autant efficaces : ses choix professionnels, ses choix d’engagement associatif, ses choix spirituels et intimes, etc.
Cette Vie passe aussi par la revivification de notre héritage passé : de nos textes, de nos coutumes et habitudes : ces éléments ne doivent pas rester coincés dans un passé révolu, ils doivent vivre avec leur temps et ainsi se transformer.
La connaissance critique
Chaque musulman et chaque musulmane a une responsabilité : le devoir d’améliorer ses connaissances critiques sur sa religion et sur le monde, car personne ne peut le faire à sa place. Fini le temps où l’on se contente de consulter l’avis d’un ouléma et de se fier entièrement à son savoir. Ce dernier est aujourd’hui accessible à tous et à toutes, à condition bien sûr d’avoir les moyens culturels et matériels de le comprendre, de bien l’utiliser et l’intégrer. L’éducation familiale et religieuse doivent donc se transformer dans cet objectif d’enseignement de l’esprit critique. Si nous avons dit plus haut que le munkar était à rejeter, à cette injonction est opposée la nécessité d’ordonner le ma’rûf : c’est-à-dire s’adapter aux coutumes et valeurs de son époque et approfondir sa connaissance du monde et d’autrui (cf. cet article pour plus d’informations).
Il s’agit de développer sa curiosité, d’opter pour un comportement actif de connaissance, de ne pas se contenter des sciences islamiques mais aussi d’aller chercher ailleurs dans les sciences humaines, apport majeur de l’époque contemporaine. Elles doivent être intégrées de toute urgence à l’éducation religieuse de tous les musulmans et de toutes les musulmanes.
Pour autant, accumuler une masse de connaissances issues des sciences humaines ou islamiques reste insuffisant. Encore faut-il en tirer les conséquences pour sa foi et sa pratique.
Les sciences humaines s’intéressent à la part d’humain dans la construction des dispositifs religieux, politiques, sociaux et économiques du monde. Elles nous demandent à juste titre de considérer que les textes de l’islam, ses dogmes et ses dispositifs furent avant tout des constructions humaines répondant à un contexte précis pour chaque époque et non le miroir parfait de la volonté divine. La lecture critique des textes de l’islam est ainsi fondamentale car il s’agit de distinguer ce qui est de l’ordre humain, qui appartient au temps qui passe et doit donc changer, et ce qui est de l’ordre métaphysique et spirituel.
Ainsi, il faut voir le Coran tel que nous l’avons entre les mains comme une œuvre historique, qui a été compilée par des êtres humains après la Révélation et selon des contextes politiques qu’on ne peut pas nier. C’est la même chose pour les hadiths et la Sîra qui sont des textes compilés voire, pour certains, forgés de toute pièce bien après la mort du Prophète pour servir des intérêts politiques postérieurs.
Les dogmes inventés après la Révélation sont aussi des décisions humaines, nous ne sommes en rien obligés de les suivre bêtement pendant des siècles. Nous devons adapter l’islam à notre temps, aux valeurs d’aujourd’hui. Rien n’est intouchable, le Prophète fut le premier à s’adapter à son temps tout en innovant et en inventant de nouveaux dispositifs sociaux et religieux. Il fut celui qui remit en cause des habitudes passées, pourquoi alors l’islam d’aujourd’hui vénère tant des coutumes anciennes ? C’est ce comportement prophétique tendu vers l’innovation et la nouveauté qu’il faut imiter, non l’intégralité de ses faits et gestes dans une reproduction servile et dégradante pour l’humanité.
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