ʿAmr Ibn ʿUbayd (80-144 H./699-761) est le successeur de Wâsil Ibn ʿAtâ’ à la tête du mouvement mutazilite.

Le plus souvent, ʿAmr est associé à Wâsil en tant que promoteurs du mouvement, toutefois, et bien qu’il jouât un rôle important au commencement de l’Ecole, celui-ci demeura un rang en-dessous de Wâsil.

Origine

ʿAmr est le petit-fils d’un ancien esclave capturé lors de la conquête de Kaboul (actuel Afghanistan). Son père avait été sergent sous le fameux, mais non moins controversé, Hajjâj Ibn Yûsuf. Il devint tisserand comme Wâsil b. ʿAtâ’, et c’est ce métier qu’il transmit à son fils ʿAmr. Avec leur intérêt commun pour la théologie et leur origine persane, il ne faut pas s’étonner de voir Wâsil épouser la sœur de ʿAmr.

Piétisme et Hadiths

Plus qu’un pieux, ʿAmr était vu dans la tradition comme un ascète, les contes et légendes sur lui en ce sens abondent. Ainsi, les récits sur lui disent qu’il faisait la prière matinale avec les ablutions faites pour la prière de l’après-midi de la veille, autrement dit il ne dormait pas. Il détestait le luxe, la fréquentation des puissants, et s’était prononcé contre la licéité de la musique. Il arborait toujours un visage grave et était porté sur l’aspect émotionnel de la foi. Enfin, une tradition dit qu’il s’habillait de laine, à la façon qu’adopteront plus tard les soufis. On dit aussi que lors des pèlerinages à La Mecque où il allait chaque année, il laissait son chameau aux pauvres, tandis qu’il l’accomplissait à pieds.

Son ascèse et sa moralité lui gagnèrent de la sympathie et du respect au-delà du mutazilisme, sans mentionner son fort intérêt pour la science du hadith (ʿilm al-hadith). ʿAmr était un mutazilite muhadith (rapporteur de hadiths). Cela peut paraître comme un oxymore, tant l’opposition entre les tenants d’une approche théologique et spéculative de la religion (ʿilm al-kalâm), et les tenants du « traditionnisme » (ʿilm al-hadith) était féroce.

D’ailleurs, les deux traditions antagonistes postérieures firent tout pour effacer ce double aspect. Les mutazilites nuancèrent ce côté traditionniste du maître, pour ne pas dire qu’ils le mirent complètement de côté ; tandis que les traditionnistes effacèrent le nom de ‘Amr Ibn ʿUbayd des isnâd (chaînes de transmission d’une parole prophétique) pour le remplacer par la formule « ʿan rajul » (« selon un homme »).

Chef du mouvement

Contrairement à Wâsil, ʿAmr n’était pas un dialecticien brillant. Il n’en eut ni la formation, ni le talent. Il se fit régulièrement battre lors de disputatio (débats), notamment par Abû Hanîfa (sunnite), Hichem Ibn Al-Hakam (chiite) et Abû ʿAmr Ibn Al-ʿAla (un philologue). Ce qui explique qu’il préféra garder le silence.

D’un point de vue politique, ʿAmr préconisait la neutralité. Vers la fin de sa vie, une crise éclata, à savoir une rébellion d’Al-Nafs Al-Zakîya, un aspirant au pouvoir alide. Le calife Al-Mansûr, deuxième de la lignée abbasside, encouragea ʿAmr à garder « l’attitude d’autrefois ». A savoir, la neutralité lorsque la révolte éclatera. ʿAmr accepta. Celui-ci rencontra le calife, et le marqua par son comportement et son ascétisme. Ainsi, alors qu’il était présent auprès du calife, ʿAmr refusa de passer de l’encre au monarque car il refusait de se faire le complice d’un arrêt de mort califal. Al-Mansûr dira de ʿAmr Ibn ʿUbayd: « Le grain que j’ai jeté en pâturage aux hommes, tous s’en sont saisis à l’exception de ʿAmr ».

Mort et héritage

ʿAmr Ibn ʿUbayd mourut en 761 lors du pèlerinage de La Mecque, à quatre jours de la ville sainte en un lieu connu sous le nom de Marrân. Moins d’un an plus tard, la révolte tant redoutée éclata, une partie des mutazilites se souleva contre l’avis de l’ancien maître, ce qui la mena à sa perte. Le chef de ces mutazilites rebelles, Bachir Al-Rahhal, mourut en tenant le cadavre d’Ibrâhîm Ibn ʿAbdallah –le chef de la rébellion. Cela déclencha la révolte au nom de son frère Al-Nafs Al- Zakîya.

L’héritage de ʿAmr ne peut être compris qu’en le reliant à l’héritage de Wâsil Ibn ‘Atâ’. Ils représentent deux facettes du mutazilisme : l’une spéculative ; l’autre ascétique voire mystique. De la première naquit la branche basrienne du mutazilisme, se réclamant de Wâsil Ibn ‘Atâ’ (dont les représentants les plus connus furent Wâsil Ibn ‘Atâ’ lui-même mais aussi paradoxalement ʿAmr Ibn ʿUbayd, puis Abû l-Hudhayl al-ʿAllaf, Ibrâhîm al-Nazzam, Al-Jâhiz, les Jubâ’i père et fils et bien d’autres).

De la seconde facette naquit la branche bagdadienne du mutazilisme qui se réclama de ʿAmr Ibn ʿUbayd. Les principaux représentants de cette branche sont Bichr Ibn Al-Mu’tamar (le fondateur), Abû Musâ Al-Murdar (le « soufi mu’tazilite »), Thumama Ibn Al-Achras, Abû l-Husayn Al-Khayyât et bien d’autres.