« Nous sommes à Dieu, et c’est vers Lui que nous retournons. » C’est la première chose qui nous a traversé l’esprit le vendredi 15 mars dernier, à l’annonce de l’abominable attaque terroriste contre deux mosquées à Christchurch en Nouvelle-Zélande. Attaque qui a coûté la vie à cinquante personnes innocentes.

Hommage aux victimes : fleurs déposées dans la mosquée de Paris 20.03.2019 (photo : Faker Korchane)

La haine coupable

Un suprémaciste « blanc », autrement dit, un partisan de l’idéologie raciste qui consiste à faire des « blancs », la race dominante sur terre, a attaqué à coup de tirs automatiques les pratiquants musulmans de deux mosquées néo-zélandaises, tuant des enfants et des adultes, des hommes et des femmes. Tous venus un jumuʿa, jour de rassemblement et de prière ; cherchant la communion avec Dieu et avec les autres musulmans, mais n’y ayant trouvé que mort et horreur.

En tant que musulmans pratiquants, habitués des mosquées, nous avons été choqué par les bribes d’images du massacre, diffusées en direct par l’auteur lâche de cet abject crime, sur les réseaux sociaux. Nous n’avons vu qu’un peu plus d’une minute de cette scène atroce, mais elle nous a largement écoeuré. Les mosquées relativement récentes des pays occidentaux se ressemblent toutes, il est donc très facile de s’identifier et de s’imaginer priant dans nos mosquées françaises ou occidentales, et subir un sort identique. Le choc n’en n’est que plus fort et déroutant.

La Nouvelle-Zélande, pays beau, ouvert, et tolérant, s’est lui-même pris cette attaque en pleine face. Les Kiwis, surnom des néo-zélandais, ont été aussi choqué et abasourdis que tout le monde. Tout le monde ? Peut-être pas. En France, des « intellectuels » représentants de la tendance néo-cons à la française, se sont empressés de dire qu’il ne fallait pas que ce qui s’était passé en Nouvelle-Zélande empêche toute critique de « l’immigration » ou toute critique de l’islam. Les gens normaux sont attristés et endeuillés, eux pensent à continuer à cracher leurs venins. Le terroriste suprémaciste blanc était inspiré par un autre terroriste du même acabit, un criminel scandinave ayant tué 77 personnes en Norvège en 2011, mais aussi et surtout, par un théoricien français d’extrême droite, Renaud Camus.

Hommage aux victimes : fleurs déposées dans la mosquée de Paris 20.03.2019 (photo : Faker Korchane)

Doit-on demander aux français « blancs » comme Renaud Camus de condamner le terrorisme et de se dissocier de lui ? Nous ne sommes pas aussi débiles et aussi stupides pour en arriver là, mais le discours médiatique et l’ambiance intellectuelle français laissent fortement à désirer. La France a cessé d’être la fille aînée de l’Eglise depuis longtemps, et maintenant, elle commence aussi à se lasser des droits de l’Homme et de sa vocation humaniste. Ghaleb Bencheikh, le président de la Fondation de l’islam de France, alerte souvent le pays en disant que « la France aura l’islam qu’elle mérite ». Le peu de compassion démontré par l’intelligentsia, les polémiques incessantes contre des voiles qu’on ne saurait voir, des accusations constantes basées sur une ignorance crasse des choses de l’islam…tout cela cultive des ressentiments et favorisent les discours les plus revendicatifs et rétrogrades de l’islam. Les extrêmes se nourrissent, et en France, les deux extrêmes, islamistes rigoristes d’un côté, et les fascistes antimusulmans de l’autre, ont trouvé un terrain particulièrement riche en provision.

« Oeil pour oeil »

Alors oui, la France aura l’islam qu’elle mérite. D’intelligence, de beauté et de compassion ; ou d’intransigeance, d’exclusivisme et de fermeture. Devinez lequel adore les discours de notre « intelligentsia » néo-conset fascisante ? Nous, en tant que représentants d’un courant que l’on peut situer, à minima, dans le camp réformiste ; pour ne pas dire carrément libéral, nous déplorons ces discours des intellectuels, dénués de compassion, et qui bien souvent, flirtent avec les discours du genre de celui de Catherine Blein, élue bretonne du Rassemblement national (RN, ancien FN), qui avait twitté : « Tuerie en New Zealand : œil pour œil ». Le président de la région Bretagne Loïg Chesnais-Girard a entamé une procédure auprès du procureur de la République pour « incitation au meurtre », nous apprend le site de l’Express le 16 mars dernier. Et que dire des commentaires sur les réseaux sociaux, véritables concentrations de haines et d’écoeurements.

Pendant ce temps, nous avons toujours de bonnes âmes pour nous expliquer que le mot « islamophobie », a été inventé par les islamistes iraniens pour empêcher toute critique de l’islam. Même les plus justifiées. Tous les actes qui ont visé des musulmans ou des supposés tels (comme souvent cela a été le cas de sikhs aux Etats-Unis), se trouvent niés. Les victimes des agressions et des meurtres se voient renvoyés dans la catégorie des faits divers, et le crime de haine n’est pas reconnu. La raison même de leurs souffrances et de celle de leurs proches s’en retrouve niée. Pourquoi ? Parce que c’est faux ? Non, parce que cela n’arrange pas l’idéologie dominante dans l’intelligentsia française. L’islamophobie n’existe pas. Les 8.000 disparus, garçons, adolescents et hommes de Srebrenica le 11 juillet 1995 en Bosnie ? On ne le connaît pas. Les victimes des pogroms et des persécutions en Birmanie ? Oui, on en a dit un mot, et puis c’est passé de mode. Les Ouighours de Chine, mouais bof ! Ça ne vaut quand même pas la sortie en boite de notre premier ministre, si ? Et que dire de cinquante personnes abattues alors qu’elles se croyaient protégés par les lois d’un pays démocratiques sous les auspices de la divinité au sein d’oratoires consacrés.

Madame Jacinda Ardern

Jacinda Ardern auprès des familles des victimes (photo: D.R)

Madame Ardern (photo : D.R)

La haine, le mépris, et l’idéologie nous mènent dans de dangereux sentiers. Dans ce marasme, une voix-e s’est élevée pour montrer une issue différente. Dans ce cauchemar que nous avons vécu, et dont une forme menace de s’abattre sur nous dans l’hexagone, Madame Jacinda Ardern, première cheffe de gouvernement à amener son bébé de trois mois à l’ONU ; a montré compassion pour les victimes, a soudé le pays dans un moment aussi traumatisant, et gardé les idées claires pour prendre des mesures contre l’accès aux armes à feux dans son pays. En outre, elle a privé le terroriste suprémaciste blanc de la publicité d’évoquer son nom, elle le qualifie de « terroriste », « criminel », mais pas de son nom civil, en cela nous suivons son exemple. Plus encore, elle a multiplié les mesures pour honorer les victimes qui avaient choisi la Nouvelle-Zélande comme foyer provisoire ou définitif. En parlant des victimes dont elle cite les noms, Madame Jacinda Ardern a eu une formule magnifique par sa simplicité, ce qui en a magnifié la puissance : « they are us », ‘ils sont ce que nous sommes’. L’humanisme de plus en plus porté disparu dans nos contrées européennes, où les populistes ont pris le pouvoir dans le foyer de la Renaissance et de l’humanisme, en Italie ; où les isolationnistes populistes ont réussi à créer une grave crise politique en Grande-Bretagne, à tel point que les discours racistes reviennent petit à petit dans les stades de foot britanniques. Sans oublier les pays de l’Est et du Centre de l’Europe, où des partis fascisants sont déjà au pouvoir. Quant à la France, ancien pays des droits de l’homme…nous verrons bien.

Dans ce marasme, disions-nous, nous avons l’espoir que représente Madame Jacinda Ardern. La Nouvelle-Zélande serait-il, paradoxalement, le dernier pays où l’humanisme a encore cours ? Le mouvement populaire dans le pays s’est mobilisé comme jamais. Des Kiwis non-musulmans ont investi les mosquées pour protéger les fidèles en prière. Hommes, femmes et enfants prennent place dans les mosquées, laissant les fidèles prier à leurs guises, eux restant à l’arrière, plus proches des portes d’entrées, signalant ainsi qu’ils sont là, et que plus jamais un musulman (ou n’importe quel autre pratiquant) ne sera menacé en Nouvelle-Zélande. A ce jour, l’attaque terroriste de Christchurch est l’attaque la plus meurtrière en temps de paix de l’histoire de la Nouvelle-Zélande. Les Néo-Zélandais ont appris, le peuple, parfaitement représenté par Madame Ardern, s’est soudé. They are us/ils sont ce que nous sommes. Le peuple n’a pas répondu à une instruction politique, c’est la politique, qui s’est faite l’écho du peuple Kiwi.

En attendant, nous avons notre intelligentsia française, nos politiques français, et nos débats français. Et ce sont ces éléments qui produiront l’islam que la France mérite. Que Dieu nous vienne en aide. Et que Dieu continue de protéger la Nouvelle-Zélande ! Et que Dieu protège la France !