J’ai ici traduit une lettre écrite par un de nos coreligionnaires égyptiens mutazilite, qui réagit contre l’établissement de la nouvelle Constitution égyptienne.

Il traite la question sous un angle islamo-musulman, en ce sens où est ici interrogé ce que la Constitution entend par islam et par sunnisme, bien qu’il ouvre la voie aux interrogations de l’interreligieux. Les premières lignes sont de la main du journaliste égyptien d’El-Watan, Khaled Muntassir, qui a publié la lettre, celle-ci commence aux guillemets. Je vous souhaite une bonne lecture, n’hésitez pas à réagir !

Peut-on exclure les chiʿites et les mutazilites de la société, de la religion et de l’islam ?

Le chiʿite est musulman, le mutazilite est musulman,  et ils doivent êtres fiers de leur islam, comme nous sommes fiers du nôtre. Et il n’est guère nécessaire que moi, ou n’importe qui des enfants d’Egypte sunnites, qu’il soit wahhabite pour que le cheykh Yasser Borhami (1), soit n’importe qui d’autre, ne nous reconnaisse. En outre, personne ne peut décréter l’infidélité d’un chiʿite, d’un mutazilite, ou d’un quiétiste hors du cadre des quatre écoles (NDT : hanafite, malikite, shafiʿite et hanbalite). Un citoyen égyptien de confession mutazilite m’a communiqué une lettre pour exprimer son opinion à propos de la nouvelle constitution sous  couvert d’anonymat à cause du climat ambiant hystérique, il écrit :

« Bien que ce projet de constitution soit rempli de choses tordues et mauvaises, je ne m’arrêterais ici que sur un seul aspect mortifère quant à la compréhension de la citoyenneté et de ses droits. Cette question apparaît dans la deuxième partie de la constitution sous le titre de « Questions générales » : les principes de la charia islamique reposent sur des sources fondamentales et juridiques relevant des quatre rites sunnites.

La signification de l’article 219 de la Constitution égyptienne est l’instauration de la tyrannie et de l’oppression au nom du rite, et la mainmise d’une lecture sunnite salafiste, et plus précisément, dans sa version wahhabite de l’islam. Avec ce que ceci admet d’opposition à la civilisation, au progrès, à la civilité, à l’innovation et au modernisme. Pensée qui résulte de la jurisprudence  bédouine et d’un credo matérialiste (selon lequel Dieu a un corps) qui refuse l’interprétation, la métaphore, et l’utilisation de la raison. De même qu’elle refuse  l’effort de réflexion sur les versets, et la projection dans l’avenir.

L’article 219 veut dire soustraire l’Egypte de sa civilisation, de son histoire, de sa culture et de sa grande diversité (civilisation pharaonique, chrétienne, musulmane), pour la remplacer par une Egypte à l’identité étroite, une Egypte uniquement sunnite d’obédience wahhabite. Comment l’Institution d’Al-Azhar, qui suit une théologie acharite (2) a-t-elle pu accepter cela ? Comment les constitutionnalistes ont-ils pu admettre ce point discriminatoire contraire aux droits du citoyen ? Comment ont-ils pu admettre cela dans une constitution moderne, elle-même résultante de la révolution de l’ensemble des citoyens égyptiens et pas seulement des sunnites égyptiens ?

Peuvent-ils seulement nous dire selon quelle acception du sunnisme les futurs administrations devront gouverner et légiférer ? Est-ce avec une acception afghane, saoudienne, soudanaise, celle d’Al-Qaïda, ou acharite, maturidite ou soufi ? Alors que tous se réclament du sunnisme ! Pourtant, au même moment, nous connaissons la vive polémique entre acharites et wahhabites d’une part, et wahhabites et soufis d’autre part quant à leur filiation au sunnisme. Comme si « sunnisme » était un bateau disputé par des passagers. Ces disputes sont dues au fameux hadith du « groupe sauvé » (NDT : selon lequel l’islam se divisera en plus de 70 groupes et qu’un seul sera sauvé).

Cette Constitution encadre et emprisonne l’islam dans la sphère des quatre rites du sunnisme. Qu’en est-il de l’ibadisme, du mutazilisme ou encore du chiʿisme ? Si l’on suppose l’existence de citoyens égyptiens relevant d’autres rites, ou encore indépendants d’une quelconque affiliation sunnite, cela veut-il dire qu’ils perdent leurs droits à cause de cette nouvelle Constitution ? Pourquoi les membres de la commission constituante ont-ils laissé passer une règle inspirée de l’obédience chiʿite jaʿfarite duodécimaine, qui s’appelle « Conseil positif pour la protection des orphelins », alors que cette règle ne sert qu’à donner encore plus d’importance à la filiation confessionnelle, au détriment d’une compréhension plus générale de l’islam, de ses écoles et des manières de le comprendre.

Cette Constitution mène au non respect de la diversité et des particularités des citoyens et de leur liberté d’Hommes, elle favorise l’étroitesse d’esprit, la marginalisation, le profilage, et les préjugés au sein des musulmans d’Egypte.  Cette règle enterre les richesses intellectuelles, jurisprudentielles, mais aussi culturelles de tous à l’exception des sunnites. Cette constitution va mener à l’assassinat de la diversité jurisprudentielle et intellectuelle, et favorisera le fanatisme et l’unilatéralisme.

Nous espérions que l’Egypte d’après la Révolution serait un pays de libertés et de droits pour tous : Egyptiens salafistes, acharʿites, mutazilites, chiʿites, soufis, maturidites ou coraniste, etc. Qu’est-ce que ça change que les citoyens égyptiens appartiennent à diverses confessions alors qu’ils relèvent tous de la seule religion musulmane mais avec des compréhensions différentes ? Le Coran ne nous incite-t-il pas à cela ? Comment peut-on appliquer une loi que l’on condamne ailleurs, en Iran, lorsque les victimes en sont les sunnites ?

Cette Constitution conduit à l’exclusion des autres et à la mainmise d’une confession sur tous les domaines : juridique, législatif, éducatif, et à l’éradication des principes coraniques défendant la diversité. Elle éloigne aussi la pensée islamique contemporaine de l’exemple qu’a été la civilisation musulmane en terme d’ouverture et de vivre ensemble avec les autres. »

(1) Yasser Borhami est un religieux activiste égyptien.

(2) L’acharʿisme est l’école de théologie la plus répandue dans les milieux sunnites. Bien que d’origine mutazilite, elle en a conservé une certaine méthodologie rationaliste, mais dans le but de justifier les théories les plus littéralistes et « imitatives ».