C’est donc dans le contexte du qadarisme et de l’opposition aux Omeyyades que le mutazilisme émergea. Ce mouvement fut fondé à Basra par Wâsil b. ʿAtâ’ (m. 748). Mais il faut d’abord avoir un regard critique sur ce passé et corriger des représentations erronées : les mutazilites ne furent ni les « premiers » théologiens de l’islam ni des penseurs « libéraux » ! Encore une fois, ne tombons pas dans l’idéalisation d’un Âge d’Or des débuts du mutazilisme.

Les mystères d’un nom

L’origine du nom d’action iʿtizâl (le fait de se séparer, de demeurer à l’écart) et du participe actif muʿtazila est obscur du point de vue historique. Selon l’explication de la tradition mutazilite, c’est Wâsil ou son associé ʿAmr b. ʿUbayd (m. 761) qui se serait « séparé » de son maître al-Hasan al-Basrî (m. 728) au sujet de la dénomination à donner à un musulman ayant commis une « faute majeure ». Une autre interprétation met en valeur l’idée que les mutazilites s’appelèrent ainsi car ils souhaitaient se mettre à l’écart politiquement et une neutralité par rapport aux divisions pro-/anti-omeyyades de l’époque.

Un réseau d’agents missionnaires

Les débuts du mouvement sont très mal connus, et les penseurs de la seconde période n’avaient pas de connaissances précises de leurs ancêtres spirituels. Wâsil b. ʿAtâ’ a voulu créer une entreprise missionnaire, il envoya des propagandistes dans le monde musulman pour recruter des adhérents. Le problème vient du fait qu’il est difficile de bien fixer la cause mutazilite telle qu’elle apparut à ce moment-là. Wâsil imita, par ce réseaux de missionnaires, le modèle existant établi par les ibâdites de Basra.

Wâsil voulait une réforme, mais celle-ci était difficile dans un contexte où la définition de l’islam variait d’une région à une autre. Ces propagandistes étaient surtout des marchands, comme pour les ibâdites, ce qui en dit sur le mode de financement du mouvement mais en dit peu sur la nature de cet élan spirituel.

Beaucoup étaient des non-Arabes (mawâlî), provenant de familles iraniennes ou araméennes « converties », exposées à une certaine discrimination faite par les Omeyyades entre les Arabes et les non-Arabes. Cette donnée a pu créer une certaine cohésion entre les premiers mutazilites, à travers leur chef atypique, Wâsil, qui ne savait pas prononcer la lettre râ’ et s’habillait différemment, comme un ascète.

Une nouvelle génération

À sa mort, c’est ‘Amr b. ʿUbayd qui lui succède, lui-même disciple d’al-Hasan al-Basrî, et exégète du Coran. Il semble avoir coupé les liens avec les cellules missionnaires en dehors de l’Irak. Les premiers mutazilites se mirent à soutenir la révolte anti-omeyyade menée par Ibrâhîm b. ʿAbd Allâh (un partisan de ʿAlî) contre al-Mansûr (762). Mais comme les autres rebelles, les mutazilites furent réprimés. Il existait à l’époque une forte cohésion spatiale entre Kûfa et Basra contre Damas, toutes tendances théologiques confondues (chiites, khârijites, mutazilites, etc.). De nombreux rebelles fuirent notamment au Maroc, ce fut une rupture dans le mouvement.

Ce n’est qu’à la fin du VIIIe siècle qu’émergent : à Basra, Abû Bakr al-Asamm (Ibn Kaysân, m. 816) et à Kûfa, Dirâr b. ʿAmr (m. 816). Mais ils n’étaient pas des mutazilites typiques : Ibn Kaysân était proche des ibâdites, tandis que Dirâr b. ʿAmr différait sur le point du libre arbitre, et subit une damnatio memoriae par les autres mutazilites.

Suite de l’histoire ici

(Résumé de : BIANQUIS T. et alii (dir.), Les débuts du monde musulman (VIIe-Xe siècle). De Muhammad aux dynasties autonomes, Paris, PUF, 2012, p. 151-155)