Que Dieu ait promis aux fidèles une récompense ou un châtiment est une thèse acceptée par tous les musulmans. En revanche, les mutazilites la rapprochent de leur conception de la justice divine et la liberté humaine. 

La promesse du Paradis et la menace de l’Enfer sont réelles et éternelles pour tout pour tout élu ou pour tout coupable de méfaits. L’Enfer, ou le Paradis, seront les destinations de ceux qui les auront mérités, qu’ils soient croyants ou non, notamment d’après deux versets :

« Dieu a promis aux croyants et aux croyantes des Jardins sous lesquels coulent des fleuves où ils demeureront éternellement ; ils auront d’excellentes habitations dans les Jardins d’Eden, avec la satisfaction de Dieu qui est encore plus belle : voilà le bonheur suprême ! » (9:72)

« Dieu a promis a promis aux hommes hypocrites, aux femmes hypocrites et aux incroyants le feu de la Géhenne ; ils y demeureront éternellement. Cela leur suffit. Dieu les maudit. Un châtiment permanent leur est réservé. » (9:68)

Dans les deux cas, c’est le terme arabe waʿada qui est utilisé : ce qui signifie faire une promesse à quelqu’un, c’est-à-dire s’engager, ou encore menacer et annoncer quelque chose pour le futur.

Ainsi, la croyance déclarée n’est pas ni bouclier contre l’Enfer, ni un billet pour le Paradis. Ce sont les actes des membres et du cœur qui dicteront la destination finale. Ceci conformément aux enseignements de l’islam. Cela rejoint donc le second principe mutazilite qui prône la justice divine et la responsabilité de l’Homme face à ses actes le jour du Jugement dernier. L’islam est ainsi une religion où la mise en acte est très importante.

Promesse, justice & responsabilité

Ce principe a été affirmé par les mutazilites contre certaines écoles de l’islam qui pensaient que leur simple adhésion à la religion suffirait à garantir le Paradis. En effet, les premiers musulmans pensaient que ces versets de menace ne s’adressaient pas à eux, car eux s’étaient convertis à l’islam. Mais très vite, des mouvements religieux (qadarites, kharijites puis mutazilites) estimèrent que le châtiment éternel n’était pas exclu même pour un musulman pécheur. En raison du précepte du ʿadl (justice divine et responsabilité humaine), les mutazilites insistaient sur le fait que les individus déterminent leurs actions par eux-mêmes et devenaient ainsi responsables de chacun de leurs actes.

Cette doctrine ne fut pourtant guère acceptée à l’extérieur de l’école mutazilite, sauf dans le cas du khârijisme. C’est plutôt la doctrine du destin de l’Homme dans l’Au-delà développée par l’école théologique murji’ite qui s’imposa. Selon celle-ci, le Jugement final est « suspendu » et aucun croyant ne doit s’attendre à un châtiment éternel. Sa foi lui garantirait au pire un châtiment temporaire mais finalement le Paradis. Cette attitude sera adoptée par les écoles théologiques acharite, mâturîdite, et quelques théologiens imâmites.

Agir avec sincérité

Pourtant, le Coran donne des descriptions assez claires sur ceux  qui seront damnés et ceux qui seront sauvés et sur la responsabilité de nos actes. Le Prophète lui-même établit la distinction entre le muslim (musulman) et le mu’mîn (croyant).

Comme le rappelle un verset coranique :

« Les Arabes bédouins ont dit : « Nous croyons ! » Dis : « Vous ne croyez pas, mais dîtes plutôt : « Nous sommes soumis », car la foi n’a pas encore pénétré dans vos cœurs ! » Si vous obéissez à Dieu et à Son Messager, Dieu ne vous fera perdre aucune de vos bonnes actions. Dieu est Celui qui pardonne. Il est Miséricordieux. » (49:14) 

Ainsi, des gens sont venus se présenter au Prophète en proclamant leur croyance et leur adhésion à l’islam. Mais le Prophète se devait de leur rappeler la différence de degré entre un muslim et un mu’min. Ces Bédouins dont il est question ici n’avaient fait qu’adhérer à une religion, pratiquant les actes du culte (prière, jeûne…) comme on se livre à quelque exercice physique ou de respiration, sans lien aucun avec la Transcendance. Ces gens ne pouvaient prétendre être de vrais croyants à cause du manque de sincérité. Cet épisode de la vie du Prophète paraît salutaire à rappeler à tous ceux qui portent leur religion sur leurs fronts et sur leurs habits, mais dont on ne trouve pas trace dans leurs cœurs. Certains non-musulmans répondent beaucoup plus, dans leur attitude, dans leur manière d’être, aux descriptions du Coran que bien des « savants », « imams », ou autres prétentieux, clamant avoir saisi l’essence de la religion en lisant un pamphlet d’un obscur bédouin du Najrân.

Ainsi, les musulmans comme les non-musulmans pourront connaître soit le Paradis, soit l’Enfer en fonction de leur sincérité du cœur et de leurs actes. Les musulmans coupables des grands pêchés sont les plus menacés, car eux savent. Ils adhèrent officiellement au message, mais n’en tiennent pas compte. Je ne parle pas ici des gens qui sont issus de familles musulmanes mais ne croient pas. Je parle de ceux qui se revendiquent musulmans, mais n’agissent pas en tant que tel. Le Coran les appellent les hypocrites (munâfiqûn). Quoique l’on fasse, il s’agit donc de toujours agir en conformité avec son cœur et sa raison, c’est sans doute cela la vertu. La sincérité dans les actes et la foi est sans doute la clé pour comprendre ce concept de la promesse dans le mutazilisme.

Les niveaux de l’éveil chez le croyant

Cela rejoint l’idée de fitra précédemment abordée dans le cadre de la justice divine. La fitra est étymologiquement l’idée d’une manière de créer, c’est-à-dire la manière dont Dieu a créé toutes choses. C’est un caractère naturel, originel, un sentiment ou plutôt l’intuition d’une unicité. Il s’agit d’un éveil, d’une prise de conscience que nous appartenons à un Tout unique. Nous pouvons retenir de le verset précédent que ces bédouins sont accusés de ne pas avoir pris encore conscience de cette intuition. Ils ne sont pas suffisamment éveillés et à l’écoute de leur environnement pour avoir la foi, qui arrive une fois que l’on a réalisé cette fitra, cette prise de conscience de l’Unicité (cf. ce lien pour mieux comprendre ce concept).