Avant de parler de la naissance du mutazilisme, il convient de passer par le mouvement du qadarisme pour mieux comprendre le contexte dans lequel est né le mutazilisme. Des groupes se sont intéressés très tôt à la question du libre arbitre. Le terme qadar en arabe signifie « prédestination » par Dieu, c’est-à-dire la mesure fixée par Dieu à un objet, décrété, à l’avance, par lui (événement, être humain, objet) (Coran, 15:21 ; 20:40 ; 23:18 ; 41:10, etc.) de par sa « puissance » (qudra).

Des questions politiques

Plus qu’en des termes théologiques, c’est d’abord des questions politiques qui ont diffusé le qadarisme. Pour les Omeyyades (661-750), l’œuvre de Muhammad n’était qu’un jalon qui devait conduire à la domination des Qurayshites sur les Arabes. Les califes omeyyades se mirent à se surnommer les successeurs de Dieu (khalîfat Allâh) et non plus seulement les successeurs de l’Envoyé de Dieu (khalîfat rasûl Allâh). On reprocha alors aux Omeyyades de se comporter en tyrans injustes par rapport aux préceptes divins. Les califes omeyyades avaient donc intérêt à s’appuyer sur les conceptions prédestinationnistes. Pour ‘Abd al-Malik (685-705), son pouvoir était un « droit de possession » (mulk) qui lui aurait été donné par Dieu et inaliénable, conformément à la volonté de ce dernier, d’où son intérêt de conserver les héritages byzantin et sassanide des pays conquis.

C’est alors qu’un groupe de théologiens – sans réelle homogénéité cependant jusqu’au IXe siècle lorsque les mutazilites se consolidèrent – proclama le libre arbitre (qadarisme). Ils reconnaissaient la détermination de Dieu, mais ils consentaient aussi à l’homme la possibilité de se déterminer lui-même. Leurs adversaires les appelèrent les négateurs du qadar (de Dieu) ou qadarites. Ils étaient appelés les déterministes ou prédestinationnistes (jabrites de jabr : pouvoir de coercition). Cependant ces derniers aussi étaient appelés des qadarites (qadariyya) par les mutazilites notamment, d’où quelques confusions.

Certains estiment que c’est Maʿbad al-Juhanî (m. 702) qui fut le premier à s’opposer aux déterministes, mais ses convictions qadarites ne furent pas son principal motif lors de sa participation à la révolte d’Ibn al-Ashʿath contre les Omeyyades.

Le processus ne commença pas avant 728 (mort de Hasan al-Basrî). À Damas, un secrétaire de chancellerie, Ghaylân al-Dimashqî apporta son soutien à al-Hârith b. Surayj. Ils considéraient qu’on devait gagner le pouvoir de Dieu (qadar) et qu’on le méritait par un agir juste. Les qadarites furent persécutés sous les califes omeyyades. Yazîd III (m. 744) les soutint mais il fut très vite assassiné.

Les développements théologiques à Basra

Alors qu’en Syrie, le qadarisme était considéré comme un mouvement politique, il se développa comme mouvement théologique à Basra. La position de cette école était que l’on ne devait pas « attribuer le mal à Dieu ». C’est là qu’Hasan al-Basrî (m. 728) a son importance. On lui attribue un traité qadarite, jugé inauthentique pour certains. Il y déclarerait que Dieu ne crée que le bien et que c’est l’Homme et Satan qui créent le mal. L’Homme choisit entre le Bien et le Mal, Dieu sait simplement de toute éternité quel sera ce choix. Il n’intervient dans un mauvais choix que si l’Homme a péché.

C’est là qu’il ne faut pas confondre qadarisme et mutazilisme, car les mutazilites ont adopté l’idée selon laquelle l’Homme est l’auteur de tous ses actes, qu’ils soient bons ou mauvais. Hasan al-Basrî estimait que le bien devait être attribué à la guidance divine.

Suite de l’histoire ici

(Résumé de : BIANQUIS T. et alii (dir.), Les débuts du monde musulman (VIIe-Xe siècle). De Muhammad aux dynasties autonomes, Paris, PUF, 2012, p. 139-141)