Abdennour Bidar m’a fait l’honneur de m’inviter, avec quelques autres, à participer aux Jeudis de l’Institut du monde arabe.
Au cours de ces jeudis, des conférences et débats sont organisés. Abdennour Bidar, philosophe et écrivain, a pris le parti de faire dialoguer la philosophie avec les sciences humaines avec pour trait commun de réfléchir sur le phénomène « islam ».
Un machisme intrinsèque à l’islam ?
Lors de ma première participation à ces jeudis, le thème était le dialogue entre philosophie et psychanalyse, autour de la question suivante : Retour du religieux, retour du refoulé ? L’islam face à la psychanalyse. Les experts invités, étaient Jean-Michel Hirt, professeur de psychopathologie à Paris XIII, et Houria Abdelouahed, maître de conférence à Paris VII et psychanalyste.
Les échanges ont été courtois et fort intéressants, mais ce n’est pas sur ce sujet que je souhaite écrire, vraiment intéressant par ailleurs. Non, mon intérêt au cours des débats s’est porté sur la réaction de Mme Houria Abdelhouahed quand elle en est venue à parler d’islam. Ce n’est pas la psychanalyste qui a parlé, mais la femme issue d’une culture traditionnaliste musulmane et machiste. Je précise ici que le machisme n’est pas lié à l’islam mais plutôt au traditionalisme. Je le dis avec d’autant plus de force, que ce n’est pas la première fois que je rencontre une femme de culture musulmane, mais qui s’inscrit dans une démarche qui prend parfois des allures d’hostilités.
Alors qu’elle devait analyser le rapport entre islam et psychanalyse d’un point de vue professionnel, Houria Abdelouahed s’est lancée dans une diatribe contre la capacité de l’islam à faire une vraie place aux femmes. Pour elle, il y a une forme viscérale d’hostilité refoulée de l’islam contre les femmes. Mais à l’entendre, cette pulsion est indépassable et définit ce qu’est l’islam dans son essence. Cela était choquant pour moi qui défends une autre compréhension et une autre manière de vivre l’islam.
Le prophète et les femmes
Malheureusement, même si cette réaction était excessive, je la comprends. Pour une raison simple : l’incapacité de nombreuses sociétés traditionnalistes à considérer les femmes comme des êtres à part entière. Des êtres capables de décider, d’agir, d’être autonomes, de désirer, de se tromper, d’avoir une seconde chance le cas échéant. Bref, de s’épanouir et d’évoluer. Ces choses-là ne sont pas discutées lorsqu’il s’agit des hommes, mais elles le sont quand il s’agit des femmes. Au nom de quoi, de quelle principe, une société se prive-t-elle de la moitié (au moins) de sa matière grise ? Cela, je ne le comprends pas. Le pire, est que le prophète Muhammad était un amoureux des femmes, au sens noble de l’expression. Dans un hadith célèbre, il dit qu’il a aimé trois choses dans ce monde, d’abord la prière, puis les femmes, et les parfums. Peu importe l’authenticité de ce hadith, ce qui compte, c’est qu’il me semble en harmonie avec le Coran et avec les grands événements de sa vie.
Jamais le prophète n’a élevé sa voix contre l’une de ses femmes. Jamais il n’en a battu une. Que l’on se rappelle de l’épisode du collier de Aïcha. Lorsque tous les gens à Médine murmuraient qu’elle avait commis l’adultère avec un jeune guerrier qui l’avait ramené en ville sur le dos de son chameau. Le prophète, qui n’y croyait pas au début, a fini par se laisser envahir par le doute. Qu’a-t-il fait à ce moment-là ? Que ferait un homme d’aujourd’hui qui réclame le droit d’appliquer la Shari’a ? Nous avons des exemples, comme en Afghanistan des Talibans, en Arabie saoudite ou chez Daech. Sur un simple doute, une rumeur, et c’est une balle dans la tête, la décapitation, ou pire, la lapidation jusqu’à ce que mort s’en suive… Or que fit le prophète ? Rien de tout cela, il se mit à l’écart de sa femme, l’évitant jusqu’à ce qu’une révélation divine vienne innocenter Aïcha. A aucun moment il ne lui a crié dessus, frappé, ou fait du tort autrement qu’en se mettant à l’écart un moment.
Dans le Coran, on lit le fameux verset (4:34) où l’on trouve le terme adribûhunna, communément traduit par « frappez-les [vos femmes] » ou « battez-les ». Or, il est possible de traduire autrement la racine da-ra-ba par « se mettre à l’écart, s’isoler ». Ce qui est, encore une fois, en cohérence avec les autres versets coraniques qui recommandent de s’isoler du conjoint en cas de crise.
Et aujourd’hui ?
Rien de tout cela dans les sociétés arabes traditionnelles. Les femmes sont perçues comme étant des éternelles mineures, qui doivent être protégées comme des enfants. Cela, dans le meilleur des cas. Autrement, il s’agit purement et simplement de les « mettre sous clés ». Ce qui est en contradiction totale avec la Révélation coranique et l’exemple du prophète. Tant que cette vision des femmes persistera, nos sociétés n’avanceront pas. C’est en mettant 100 % de ses moyens qu’on avance réellement. C’est une évidence, mais pas partout. Pour justifier le traitement aliénant et infantilisant des femmes, les meilleures intentions sont mises en avant. On ne cherche pas à contrôler les femmes, non, on veut les « protéger ». Vous comprenez, « les femmes manquent de raison », en outre, comme le dit un autre hadith connu, « malheur à une nation qui met une femme à sa tête ». Hadith largement récusé par les figures des « mères des croyants », comme Khadija, Aïcha, Oum Salama, ou encore par Oum Waraqa. Et plus encore, par les exemples historiques occidentaux, autres, tels que la tsarine Catherine de Russie, Elizabeth Ière d’Angleterre, ou encore, Jeanne d’Albret, reine de Navarre et mère d’Henri IV, roi de France, une amoureuse des arts et des lettres, protectrice de la Réforme protestante dans son royaume, une reine de la hauteur et du niveau intellectuel d’un autre monarque éclairé.
Pour ma part, et cela semble être le cas des mutazilites contemporains (à mon plus grand soulagement), je ne vois pas de distinction entre les êtres humains.
Les femmes ont toutes leur place auprès des hommes dans les mosquées, non seulement dans la salle de prière, mais aussi dans les fonctions et les titres. Des femmes imames, mufties, alimas…je ne vois pas d’objection à cela, si ce n’est la littérature jurisprudentielle des siècles passés, littérature qui n’a rien de sacré, qui est humaine, donc du droit positif, largement révisable et soumis au changement. Il faut suivre l’exemple du prophète, et non de ceux qui s’en réclament au nom de prétendus pieux anciens, ou plus savants en matière de foi.
Jeter le bébé avec l’eau du bain
Ce n’est qu’à ce titre que l’on pourra faire taire, tous ensemble, hommes et femmes, l’amertume qui semblait animer Houria Abdelouahed (et sans doute des milliers d’autres). Amertume compréhensible, mais qui entraîne elle-même des difficultés, comme celle parfaitement illustrée par l’expression « jeter le bébé avec l’eau du bain ». L’islam n’est pas coupable dans cette question du rapport homme/femme. Les musulmans historiques, ceux qui ont succédé au prophète, jusqu’à nous, le sommes pour une part importante. Il faut réviser notre regard personnel, et cesser de croire que la différence entre hommes et femmes dépasse celle de simples lettres XY ou XX.
Je sais que ce que j’écris là soulèvera sans doute raillerie et moquerie, tant de la part de certains hommes que de certaines femmes. Des hommes me prendront pour un vendu, un « sans nerfs ». Certaines femmes diront que je parle indûment en leur nom, confirmant ainsi une forme de paternalisme et de condescendance. Eh bien cela montrera en même temps que les hommes et les femmes sont véritablement similaires, comme ils le sont en intelligence et en âme ; ils le sont de la même manière dans la bêtise et les jugements à l’emporte-pièce.
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