Abdennur Prado est un activiste espagnol des droits et des libertés à l’intérieur de la religion musulmane. Ses chevaux de bataille sont le combat féministe et la défense de la minorité LGBT.
J’ai rencontré M. Prado avec des représentants de l’association interreligieuse Coexister le matin du 18 novembre 2012 dans une petite salle de réunion dans le 13e arrondissement de Paris. D’un naturel chaleureux que renforce son accent espagnol, Abdennur Prado nous a fait bon accueil et s’est montré très convivial. Suite à quoi, il partagea avec nous une partie de son parcours et nous présenta les luttes qu’il mène au sein de la communauté musulmane et au-delà.
Ainsi, Abdennur Prado est né dans une famille espagnole non-religieuse de Barcelone. Le jeune Prado sera d’ailleurs un athée presque militant. Jeune auteur et poète, les principales lectures du jeune catalan ont plus à voir avec Schopenhauer et Nietzsche qu’une quelconque littérature religieuse. Pour trouver l’inspiration, le jeune poète se retire dans la campagne catalane.
Il s’isole, médite et petit à petit connait une véritable expérience de quasi ermitage. Il s’isolera neuf mois durant. De cette retraite, le jeune Prado sortira rompu. Il parlera même « d’expérience de mort » au sens métaphysique. Il en sortira complètement changé. D’une vision athée matérialiste du monde, le jeune homme conclut en l’existence d’une harmonie universelle, d’une sagesse là, imperceptible et qu’il n’arrive pas à définir.
A partir de cette nouvelle situation de conscience, naît une tension : Une nouvelle prise de conscience a lieu mais il n’arrive pas à l’identifier. Il ne reconnait pas ce qui affleure derrière « cet éveil ». Il quitte alors sa retraite de la campagne catalane et retourne à Barcelone, mais le jeune Prado qui revient de sa retraite n’est pas celui qui s’y était rendu. Le nouvel éveil qu’il vit, mais qu’il n’arrive pas encore à comprendre pleinement, le plonge dans un sentiment d’égarement et de solitude qui le mène à l’alcool et aux stupéfiants. A la question de savoir pourquoi il en est arrivé là, Abdennur Prado avance des éléments de réponses : élevé dans une famille peu traditionnelle et qui n’offrait pas d’arrière-plan religieux ou métaphysique. Le jeune homme est incapable d’identifier en le nommant, le changement qui le remue de l’intérieur.
A cette époque, la poésie lui sert d’échappatoire, elle est pour lui une forme de prière, bien qu’il ne l’appelle pas comme cela à ce moment-là. Le jeune quiétiste se met à lire de la littérature orientale mystique et spirituelle. Mais il garde un certain rejet pour les religions institutionnelles. Et bien que le jeune Espagnol ressente un certain attrait pour l’islam, cette religion reste pour lui associée à la notion de terreur. Emu, Abdennur Prado raconte comment à cette époque il écrivit un jour ce vers « Je prends refuge auprès de celui qui fait apparaître l’aube ». Plus tard, alors qu’il feuillète un Coran dans une bibliothèque, il tombe sur la sourate de l’Aube dont le premier verset stipule : « Dis : mon refuge soit en le Seigneur du point du jour ! » C’est cet événement qui va bouleverser la vie du jeune catalan. Son « éveil », jusque là inintelligible et source de perplexité s’éclaire totalement. Le Coran devient une source de sens. Un sentiment de joie l’envahit, la solitude dans laquelle il vivait prend ainsi fin. Il prend conscience du fait qu’il est « fils d’Adam » et donc qu’il fait partie de l’humanité. Au bout de son long cheminement, le jeune Catalan arrive seul à l’islam.
De nouveau, Il quitte Barcelone, pour Cordoue en Andalousie cette fois. Là, il rejoint une communauté d’Espagnols convertis à l’islam (Junta islamica de Espana). Il y apprend la religion musulmane et se convertit formellement en prononçant la shahada (profession de foi). A la tête de cette communauté se trouvait alors Mansur Escudero, dont la maison était toujours ouverte. Les personnes qui s’y retrouvaient venaient de partout dans le monde. Les mouvements étaient fréquents, mouvement de personnes mais aussi d’idées. La parole y était libre, hommes, femmes, tous pouvaient défendre des idées et aborder les thèmes qu’ils voulaient.
Ces discussions et débats libres formeront une sorte d’école d’apprentissage pour le jeune Abdennur Prado. Certains problèmes prennent une importance particulière pour lui, à commencer par la question du droit des femmes. Puis, plus largement, une dualité se dégage entre l’islam source d’émancipation, de libération et d’épanouissement comme lui et la communauté d’Escudero le comprend ; et un islam formaliste et rigide, source de conflits. Prado prend la tête du site islamweb en espagnol. Ce site servira de plateforme de lutte contre l’islam institutionnel ritualiste et rigide. D’autant plus que pour Abdennur Prado et sa communauté, une grande contradiction se fait jour sur le droit des femmes. Alors que l’islam, via le Coran et l’exemple du Prophète, préconise la libération, l’égalité des droits et l’émancipation, les institutions classiques musulmanes, issues d’une longue tradition patriarcales elles, sont sources de blocages, d’infantilisation des femmes, et de leur classement permanent dans la catégorie de mineurs sujets à tuteurs.
Pour apporter sa contribution à la lutte pour le droit des femmes, Abdennur Prado a l’idée d’un congrès international pour le féminisme islamique. Féminisme qui repose, selon Prado, sur un ensemble de principes islamiques de base :
- Tawhîd (Unicité de Dieu).
- ʿAdl (Justice divine).
- Khalifat (Etre humain est représentant de Dieu sur Terre ; non pas au sens politique).
- Taqwa (Piété et effort personnel sur le chemin de Dieu).
- Shura (Consultation).
- Wilaya (dans un couple l’homme et la femme sont « tuteurs » l’un de l’autre, à égalité).
En 2005 il créé la Junta Islamica de Cataluna, et organise le premier congrès à Barcelone, qui aura un grand impact médiatique. Depuis, la Junta Islamica Cataluna, dont Abdennur Prado est à la tête, mène une lutte globale pour l’égalité des droits et l’émancipation : elle lutte contre l’islamophobie, le racisme, pour les droits des femmes et des homosexuels, et est engagé dans le dialogue interreligieux entre autres.
Notre rencontre prit fin en toute simplicité et dans un même esprit de convivialité que lorsqu’elle commença. Le parcours de monsieur Abdennur Prado est assez impressionnant et est une source de réflexions et d’interrogations qui doivent nous interpeler. Particulièrement le fait que cet homme soit arrivé à l’islam seul, ce qui lui garantit la connaissance d’un islam pur, celui qui se donne aux consciences qui sont prêtes à le voir et à le comprendre. Un islam libéré des poids et des chaînes que lui ont attaché des siècles de traditions locales marquées par le conservatisme des hommes de pouvoir.
Son témoignage nous pousse à nous interroger sur le formalisme lénifiant et stérile encouragé par les tenants classiques d’une forme d’islam dépassé, qui a nié à la raison une quelconque légitimité, et un quelconque poids digne de ce que le Coran lui-même accorde. Ainsi, l’islam comme il se doit, celui qui recourt à la raison et à ce qui est juste, ne peut être qu’une source d’émancipation et d’épanouissement, et non pas un joug voué à être brisé.
Les idées et les conceptions d’Abdennur Prado, et peut-être plus largement de la Junta Islamica sur ce qu’est l’islam, trouvent un écho très favorable à notre approche de la religion. A savoir, une compréhension des textes associée à cet outil impartial qu’est la raison. Mais la raison doit puiser dans cette part innée chez la plupart des êtres humains, cette part innée qui jalonne tout le parcours de M. Prado et qui le pousse au bien, au juste, et que le Coran nomme la fitra. Elle n’est pas l’islam, comme aiment à le dire la plupart des « savants » et soi-disant spécialistes. La fitra est ce qui nous fait condamner l’injustice, ce qui nous fait soulever le cœur lorsque l’on voit le corps d’un enfant dégagé des décombres dans un journal télé. En somme, la fitra est l’assentiment naturel au bien et au juste. La raison et la fitra, associées au Coran et à l’exemple du prophète, c’est cela l’expérience de M. Prado. C’est l’expérience que nous souhaitons à tous les musulmans et au-delà. C’est l’islam de raison, d’équité, et source de libération et d’épanouissement.
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