Mutazilisme

Association pour la renaissance de l'islam mutazilite (ARIM)

Le problème de l’engagement dans le néo-mutazilisme

En marge d’une formation que j’assurais aujourd’hui à Paris, deux jeunes femmes pédopsychiatres sont venues me demander si je voulais bien intervenir auprès de jeunes, en tant que philosophe, pour évoquer la question de l’engagement.

Cette demande m’a fait réfléchir sur cette notion, et en particulier sur la difficulté de certains à s’engager auprès du mutazilisme, ou du néo-mutazilisme comme il est souvent désigné. Pourtant, ce n’est pas le manque d’enthousiasme pour ces idées qui fait défaut. Je le vois régulièrement par les mails que je reçois, ou encore les témoignages divers et variés, sur le web comme dans le quotidien.

Pourtant, peu de personnes se réclament du mutazilisme ou s’en revendiquent partisans. Pourquoi ? Par crainte ? Crainte de quoi ? Je ne parle pas ici des gens qui ont des réserves, qui ne sont pas forcément convaincus, je parle ici de gens qui se reconnaissent pleinement dans la conception mutazilite de l’islam, et qui pourtant, restent à la marge.

Du désert théologique à la cité ombragée

Nous vivons aujourd’hui une grave crise en Islam. Une crise, ou comme le dit Reza Aslan dans son livre, Le Miséricordieux, la véritable histoire de Mahomet et de l’islam, une Réforme islamique, qui, à l’instar de la Réforme chrétienne (protestante) des XVIe et XVIIe siècles, n’est pas dénuée de conflits armés et de sang. Les gens qui veulent connaître l’islam et qui s’y intéressent de près ont trois options à leurs portées :

L’islam mainstream 

Cet islam est que l’on trouve un peu partout et dont le discours n’est pas très élaboré, défendu par une caste religieuse de plus en plus démunie face à l’activisme des salafistes et crypto-salafistes. Incapables de conceptualiser leur foi, ni de prendre de la distance, ces religieux sont hermétiques au discours historico-critique, et voient toute ouverture à cet horizon de compréhension comme un dangereux appel à douter de la religion, voire à la nier purement et simplement.

Or, critiquer une religion n’est pas la détruire, mais consiste à rester constamment vigilant en tant que croyant par rapport à ses pratiques et sa foi. Il s’agit de constamment se demander : pourquoi faire ceci ou cela ? Par imitation ou par sincérité et besoin spirituel ? Le sentiment de faire partie de la majorité, d’être dominant partout, a empêché les religieux sunnites traditionnalistes de remettre leur vision du monde en question. Certains ont commencé à le faire, mais ceux-là sont vus comme des déviants, des « innovateurs », des crypto-chi’ites, voire même des athées.

Je pense à des personnalités comme Adnan Ibrahim, Hassan Farhan Al-Maliki ou encore Mohamed Bajrafil et Tarek Oubrou. Ceux-là développent un discours auprès duquel les croyants qui ressentent le besoin de comprendre l’islam avec raison et compassion peuvent trouver une oasis d’ombre et une source d’eau dans un désert théologique. Désert qui n’est pas naturel en islam, ce désert est un désert voulu, un désert qui ressemble à celui créé par les invasions des tribus bédouines des Banû Hillal et des Banû Sulaym. A leur entrée en Ifriqya (Tunisie actuelle), ces tribus avaient rendu désertiques des zones jusque-là irriguées et vertes, en détruisant les systèmes d’irrigation que des hommes avaient mis en place en utilisant leur raison. Ces théologiens qui font bon accueil à la raison et la réflexion existent, pourtant, ils ne constituent que quelques oasis dans un vaste désert.

Nous, en tant que néo-mutazilites, nous proposons, à défaut d’un pays, au moins une petite cité portuaire, avec ses rues, ses venelles, ses artères principales, son port, ses maisons et institutions, mais aussi ses impasses. A ceci près, que ces impasses donnent de l’ombre et de la fraîcheur, dans un climat marqué par le siroco du désert, à défaut de donner une sortie.

Mais soyons honnêtes ! Cette cité est en cours de construction, et cette construction est très lente. Pourquoi ? Parce que nous manquons de main-d’œuvre. Nous manquons de personnes qui osent se réclamer de ce courant. Or, chaque voix qui va dans ce sens, renforce notre existence réelle, et encourage les frustrés de l’usage de la raison à nous rejoindre. Le nombre est une donnée toujours respectée par les êtres humains tout au long de l’histoire.

Le soufisme

La deuxième voie qui s’offre à tous curieux de l’islam, est celle de la mystique soufie. Mais pour s’ouvrir à cette voie là, il faut déjà être versé sur les questions, et les conceptions mystiques. Il faut avoir l’éducation spirituelle suffisante pour concevoir la complexité des concepts visant à comprendre Dieu. D’eux, peu de choses peuvent être dites. Je n’ai pas un assentiment mystique très développé, mais je comprends que la soif du mystique soit considérée comme étant nécessaire pour beaucoup. Les êtres humains sont différents, et en fonction de leurs conceptions de la vie, de leurs aspirations, de leurs cultures…ils auront un besoin spirituel différent et donc, une attente spirituelle différente.

Le salafisme

Quant à la troisième voie, il s’agit de nos chers amis salafistes, ou des crypto-salafistes, à savoir des gens qui ne se réclament pas officiellement du salafisme, mais qui ont les mêmes idées. Ceux-là sont les partisans du taqlîd absolu, c’est-à-dire de l’imitation servile et dénuée du sens des responsabilités, et de la réflexion. C’est une voie que je considère comme lâche, puisqu’elle promet beaucoup, pour aucun investissement personnel autre que celui d’une pratique non questionnée et non raisonnée. Or, il est tellement plus facile d’obéir au doigt et à la lettre à une orthopraxie (pratique droite) que de constamment s’interroger sur sa validité dans un temps et un espace précis. La liberté spirituelle est très difficile à acquérir mais elle empêche de considérer que l’on aurait enfin compris définitivement Dieu et le Coran. Se contenter d’obéir servilement à un ensemble de normes dépassées, c’est faire preuve de paresse intellectuelle, ou alors d’angoisse face à l’idée de se plonger dans l’océan de l’infini et l’absence de certitude.

L’islam des sagesses

Pour ceux qui cherchent une logique et un sens

Ceux qui pensent que la religion musulmane n’est pas dénuée de raison et de sagesses, ceux-là restent sur leur faim. Ils ne trouvent pas ou peu d’endroits où s’approvisionner. Ceux-là sont souvent à la dérive. Et c’est surtout à eux que ce site est dédié. Aujourd’hui, il existe des mutazilites un peu partout. Nous sommes présents sur les cinq continents, mais notre présence est éparpillée, résiduelle. Nous sommes dans une phase de restructuration, de reconstruction, de restauration, voire de renaissance. Tel le phénix, nous renaissons de nos cendres, mais le processus est lent et douloureux. L’âge qui fut celui de notre apogée était aussi l’âge de l’apogée de tout l’islam. Par notre théologie, notre réserve par rapport à toute tentative de politiser la religion, nous restons à équidistance tant des sunnites que des chiites. Les Ibadites sont pour nous des frères encore plus proches que ceux nommés juste avant, bien que nous ayons aussi des désaccords avec eux. Notre force est aussi de pouvoir partager une conception plus ou moins proche de l’une ou l’autre de ces obédiences mais de manière toujours nuancée.

Mais pour que notre renaissance soit bonne, complète, pertinente et efficiente, nous avons besoin que des gens s’engagent. Il faut revendiquer votre appartenance à cette conception de l’islam, néo-mutazilite, si, et seulement si, vous vous y reconnaissez pleinement. Si je reprends le préfixe « néo » à mutazilite, c’est bien parce que j’ai conscience que le mutazilisme que nous défendons aujourd’hui, n’est pas exactement celui de nos Anciens (et encore heureux !). Il serait un comble de faire preuve de taqlîd face à l’ancien courant. Celui-ci présentait parfois des aspects « positivistes » que nous sommes maintenant à mesure de juger « inconsidérés ». Mais peu importe le passé…seul l’avenir importe !

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  1. staikamus

    Je suis avec l’islam de la raison , l’islam de la sagesse et l’islam de la justice qui l’un des « maqasid » fondamentaux de notre belle religion. Est ce que ca fait de moi un mutazilite? je ne sais pas … je suis un peu frileux à toute étiquette spécifique . je peux être d’accord aussi bien avec un point de vue mutazilite qu’avec celui des ash’arites. je préfère alors suivre mon propre chemin de la raison sans étiquette.

    • Votre décision est sage et tout à fait intéressante. Le plus important est de suivre son propre chemin. Le but de ce site est de proposer une chemin supplémentaire et de montrer qu’il n’en existe pas qu’un seul. Je vous souhaite donc une bonne continuation et je vous remercie pour ce commentaire !

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