Ramadan est le mois du pardon. Le pardon, une valeur fondamentale en Islam, répondant au verset  en tête de chaque sourate ou presque du Coran, « Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux ». « Allah est Celui qui pardonne, les péchés. Il est Celui qui absout, le Miséricordieux. » (Coran, XXXIX, 53).

Mais Allah est-il le seul à pardonner ? Et qu’est-ce que pardonner en fin de compte ? Se faire pardonner par celui à qui on a fait du tort ? Pardonner pour le mal qu’on nous a fait ?  Mais n’est-ce pas surtout se pardonner soi-même pour ce que l’on a infligé et ce que l’on a accepté de subir ?

Je ne m’étendrais pas sur les grands débats comme celui sur le pardon divin envers les ingrats. Mon propos est ici de proposer un état des lieux de ma propre quête en matière de pardon, en espérant stimuler ou nourrir les réflexions de certains lecteurs.

« Dès lors que vous éviterez les grands péchés qui vous ont été défendus, Nous abolirons vos autres fautes et Nous accueillerons dignement dans un lieu honorable » (Coran, IV, 31). La miséricorde divine est infinie à la condition que le fautif se repente et après une éventuelle période d’expiation en enfer. C’est celle que tout croyant implore. Mais il ne faut pas oublier pour autant la miséricorde envers ses pairs. Le pardon réciproque est recommandé entre musulmans, et il est possible envers les non musulmans. « Prends la voie du pardon, ordonne les règles de la convenance et éloigne-toi des ignorants » (Coran, VII, 199)

Mais quel que soit le sens du pardon le but reste la quête du pardon divin. Le pardon est vu non pas seulement comme une garantie d’une vie future au Paradis mais comme la libération d’un poison qui nous empêche de vivre sereinement sur cette terre.

Chaque souffrance supportée et pardonnée nous rapproche un peu plus de Dieu. Chaque souffrance que nous avons infligée et pour laquelle nous avons été pardonnés et nous nous sommes pardonnés également. Pour moi, avancer sur le chemin du pardon ce n’est pas juste enchaîner de bonnes actions et des prières comme un mathématicien mais bien de se dépasser soi-même pour se rapprocher de l’amour d’Allah. Et pour cela s’astreindre à un mode de vie le plus juste et le plus respectueux de l’autre possible dans lequel le pardon a toute sa place. « Mais celui qui établit la concorde et qui recherche la paix, sa récompense est auprès d’Allah. Allah n’aime pas les injustes » (Coran, XLII, 40).

Les pires souffrances sont celles infligées par ceux qu’on aime le plus. Elles sont aussi les plus difficiles à accepter, et donc à pardonner. À l’image d’Allah qui est Amour, nous devons travailler sur le pardon non par devoir, mais par amour. Amour de Dieu, amour du proche qui nous a fait du mal ou à qui nous en avons fait, et amour de nous-même. Cela commence par vivre avec cette douleur. Certains s’arrêtent là et ne peuvent pas continuer plus sur le chemin du pardon. Mais quand on a la force de poursuivre la rancœur s’estompe pour laisser place à une autre forme d’amour, plus profond. Amour matériel de cette « autre personne ». Mais aussi amour de nous-même qui nous fait avancer sur le chemin du Divin.

Allah nous envoie la souffrance que nous pouvons supporter : « Allah ne charge pas une âme sans qu’il lui trouve des issues favorables » (Coran, II, 286). À défaut d’oublier, nous pouvons déjà vivre avec et sans rancœur. C’est une première étape. Ne pas désespérer mais aller de l’avant. Nous ne sommes que des hommes, nous n’avons pas l’infinie bonté d’Allah. Mais si au moins nous pouvons supporter les douleurs sans en garder de grief, à défaut de pardonner, une partie du chemin aura déjà été fait. La portée de l’acte réside dans l’intention. « Mais si vous pardonnez, si vous êtes indulgents et si vous manifestez de la compassion, sachez qu’Allah est Celui qui pardonne et qui est miséricordieux » (Coran, XLIV, 14).

Seul Allah est juge en matière de péché. Le croyant ne peut pas juger les péchés des autres d’une part parce que nul n’est parfait, et surtout parce que seul Dieu peut décider qui ira au Paradis, se voyant absout de ses péchés, et qui verra ses portes se refermer devant lui. Le croyant devrait se concentrer sur le pardon de ses propres péchés, sans désespérer de la miséricorde de Dieu. Il devrait également se montrer miséricordieux envers les autres à l’image de la miséricorde qu’il espère recevoir. « Qu’ils pardonnent, qu’ils oublient ! Ne voulez-vous pas qu’Allah vous pardonne, Lui qui absout et qui est miséricordieux ? » (Coran, XXIV, 22).

Pardonner est un acte de générosité et de bienveillance que le croyant se doit d’essayer de faire pour lui, pour l’autre mais avant tout parce que c’est un acte d’amour pour Allah. « Quant à celui qui s’est montré constant et qui est enclin au pardon, celui-là se conforme véritablement aux bons usages » (Coran, XLII, 43). Nous implorons le pardon d’Allah pour nos péchés mais se repentir passe aussi par l’acte de chercher à se faire pardonner pour le mal fait aux autres et à soi-même.