Alliance of Inclusive Muslims (AIM), ou l’Alliance des musulmans inclusifs – une nouvelle organisation non gouvernementale (ONG) avec statuts déposés à l’ONU vient de voir le jour. L’ARIM en est l’un des membres fondateurs.
Le compte-rendu
Du 28 septembre au 1er octobre 2017, une quinzaine d’associations musulmanes venues des cinq continents se sont réunies à Hammamet en Tunisie dans le but de créer une grande organisation internationale reconnue par l’ONU. Sous la houlette des Muslims for progressive values (MPV) américains, et sa présidente, Ani Zonneveld, l’AIM a été créée par une large entente d’associations islamiques qui militent pour la défense des droits de l’Homme et de la dignité humaine. Ainsi, outre le MPV américain, il y avait aussi la branche néerlandaise et le MPV de la région latino-américaine ; ainsi que d’autres associations :
- Council for Democracy and Tolerance (CDT),
- el-Tawhid Juma Circle (Canada),
- Liberal-islamischer Bund (Allemagne),
- Muslim world today (Pakistan),
- Sahiyo (Inde),
- Komuniti Muslim Universal (KMU) (Malaisie),
- Coexistence (Tunisie),
- Supreme Council of Kenya Muslims (Supkem) (Kenya),
- Alliance des imams du corridor nord pour le développement humanitaire du Burundi (AICNDH) (Burundi),
- Maandoon for Peaceful Coexistence (Somalie).
D’autres associations devaient être présentes, mais pour des raisons diverses (dont la question de l’obtention de visas), elles n’étaient finalement pas là sans pour autant que leur engagement ou participation ne soient remises en cause.
Enfin, notre propre organisation, l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite, l’ARIM, était la seule à représenter la France.
D’un point de vue institutionnel, trois professeurs de la prestigieuse université islamique tunisienne d’Al-Zitouna ont aussi apporté leur soutien. Iqbal Al Gharbi, professeure d’anthropologie ; Monia Al Almi, professeure en étude coranique et tafsir (commentaire) ; et Abdelkader Neffati, professeur de théologie et de mystique (kalam et tassawuf).
Pour citer le communiqué de presse annonçant la création de cette grande ONG, l’AIM a pour vocation de
« galvaniser les organisations des musulmans progressistes du monde entier pour agir contre les violences structurelles qui ont lieu au nom de l’islam. »
Trois principes réunissent ces associations :
- Droits humains et dignité pour tous : défendre la reconnaissance des droits pour tous. Du respect de l’équité, et de la protection de la loi pour tous, sans restriction aucune.
- Liberté d’expression : soutenir la liberté d’expression, de pensée, de conscience et la possibilité du désaccord. Nul ne doit être persécuté, emprisonné, ou détenu pour des raisons politiques, journalistiques, artistiques ou sociales, ou à cause d’une expression religieuse particulière.
- Liberté de religion, et liberté par rapport aux religions : défendre l’assertion coranique « nulle contrainte en religion » (II, 256) ; et défendre l’idée que la liberté de conscience n’est pas seulement essentielle aux sociétés humaines, mais partie intégrante de la vision coranique de l’humanité.
Toutes nos associations se reconnaissent dans ces trois principes bien que chacune les mette en pratique à sa manière en les abordant sous un angle particulier. Pour les unes, il s’agit d’agir pour affirmer ou défendre l’égalité des sexes, ou lutter contre les violences faites aux femmes et l’excision ; d’autres militent pour le soutien aux minorités marginalisées, comme les minorités religieuses (chiites ou chrétiennes) ou sexuelles comme les LGBT ; d’autres encore (comme nous) travaillent à l’établissement d’un discours religieux critique, allégé des ajouts superflus et figés des siècles passés.
Le constat est souvent le même, le conservatisme conformiste, ou plus simplement, la stagnation d’une très grande partie, pour ne pas dire d’une bonne majorité des hiérarques musulmans. Drapés dans leurs certitudes formalistes rigides et stériles, ils n’agissent pas vraiment, se contentant de tenir des discours pontifiants, souvent en disharmonie avec l’attente de leur temps.
En France, les désaccords entre musulmans sur les différentes manières de lire et de vivre l’islam peuvent pousser certains à dire des choses qui dépassent leurs pensées, ou même à l’invective ; ce n’est rien comparé à ce qui se passe ailleurs, lorsque des propos critiques qui n’ont rien d’insultantes mènent ceux qui les ont prononcés à être agressés, emprisonnés, torturés, voire tués. En Malaisie par exemple, les propos de l’écrivain turc, Mustafa Akyol (auteur de Islam sans les extrêmes : un cas de musulman pour la liberté), l’ont mené en prison pour quelques jours, et à la suppression de ses conférences où il présentait sa pensée, juste pour avoir défendu le droit de musulmans d’abjurer sans risquer la mort ou l’arrestation, conformément au verset coranique qui dit : « Nulle contrainte en religion ! » (II, 256). Avec le temps, la Malaisie semble céder le pas à la police religieuse qui ne respecte en rien le texte coranique, et se laisse gagner par les mélodies des thuriféraires du rigorisme.
Les représentants des différentes associations islamiques (américains, argentins, somaliens, kenyans, burundais, tunisiens, etc.) ont tous pour caractéristiques communes de croire au sens premier du message coranique : confiance envers notre Seigneur, envers les enseignements coraniques sur la rahma (idée de protection matricielle) de Dieu, sur Sa karama (dignité) inhérente au Coran (al-Qur’ân al-karîm, le digne Coran).
Autrement dit, tous les activistes présents à Hammamet étaient habités par une foi vivante qui les pousse non pas à demander à être reconnus, mais plutôt à vivre leur foi comme ils l’entendent et à montrer comment la vivre différemment d’un respect strict à un formalisme imitatif stérile. Ici, la place pour le pluralisme était affirmée de même que la légitimité de la diversité des approches. Le but étant de montrer à ceux qui sont en demande, voire en souffrance pour certains, qu’il existe des musulmans pour qui la différence n’est pas une cause de guerre ou de fitna, mais une occasion nouvelle d’enrichissement réciproque. La seule condition étant d’admettre cette diversité comme un fait naturel de la condition humaine.
Pendant la durée de ce colloque, les représentants associatifs présentaient leurs actions militantes :
- Mises en place d’actions concrètes de sensibilisation dans les établissements confessionnels islamiques du Burundi avec l’opération #imamsforshe, grâce à l’action de l’AICNDH ;
- Soutien aux femmes en détresse et à la lutte contre l’excision par Sahiyo en Inde ;
- Création d’un site internet regroupant toutes informations sur les communautés musulmanes de part le monde en terme d’actualités mais aussi de culture par l’association Muslim world today du Pakistan, entre autres « pitch ».
D’autres ateliers de discussions ont eu lieu autour des articles de la constitution de l’AIM, puis du règlement intérieur. Finalement, et après accord unanime, un bureau de cinq membres a été élu :
- Président : M. Aizat Shamsuddin (KMU, Malaisie),
- Vice-présidente : Mme Fenna Ten Berge (MPV, Pays-Bas),
- Secrétaire : Mme Supna Zaidi (CDT, Etats-Unis),
- Secrétaire-adjoint : M. Bukuru Elie (AICNDH, Burundi),
- Trésorière : Mme Ani Zonneveld (MPV, Etats-Unis).
Conservatisme et réformisme
En ma qualité de président de l’ARIM, je représentais l’association à Hammamet. L’AIM n’est pas une association militante en tant que telle, mais elle regroupe en son sein d’autres associations qui le sont. Autrement dit, l’AIM est une organisation parapluie qui a pour vocation de donner un cadre plus large aux associations permettant un échange d’expériences mais aussi des possibilités de financement.
Reconnue à l’ONU, l’AIM sera susceptible de bénéficier de fonds onusiens dans le but de les distribuer aux associations qui la composent. Ce qui pourrait nous aider à organiser des événements et à mener nos différentes missions à bien. Pour pouvoir prétendre à intégrer l’AIM, les trois objectifs cités plus haut sont fondamentaux. Notre association, l’ARIM, adhère totalement à ces principes puisque nos deux objectifs principaux sont :
- 1. De garantir la liberté individuelle de chacun(e) pour vivre sa foi dans le respect d’autrui.
- 2. D’exercer son esprit critique.
Aujourd’hui l’ARIM est partie prenante d’un réseau d’une quinzaine d’associations de part le monde sur les cinq continents. Plus important encore, aujourd’hui, nous sommes en mesure de nous rendre compte réellement de l’étendue des difficultés que peuvent rencontrer des militants des droits humains, qu’ils soient spirituels ou non, dans le cadre de sociétés à référence islamique ou non. Les menaces, discriminations, admonestations de (non) musulmans contre des (non) musulmans deviennent concrètes et réelles. De même que les actions, la volonté d’aller de l’avant que l’on y rencontre aussi.
Il n’y a pas lieu d’être pessimiste, au contraire. Mais il faut réaliser à quel point de nombreuses personnes courageuses encourent des risques réels dans des pays sensibles comme le Pakistan ou la Malaisie sans que cela n’entame leur détermination et leur abnégation. Dans ce réseau mondial, nous trouvons non seulement d’autres militants avec qui partager nos expériences, des personnes qui sont des sources d’inspirations et d’encouragement, mais aussi et surtout, de nouveaux amis, frères et sœurs en islam et en humanité, et qui nous rappellent que la foi et la raison n’ont de sens que s’ils s’alimentent de compassion, d’altruisme et de bel agir envers tous.
Nos actions sont encore limitées à des cercles de lecture, mais notre ambition est plus grande. Nous ne pensons pas que nous changerons la face du monde, mais nous pouvons certainement essayer d’y contribuer au moins à l’échelle locale. D’autres actions sont en projet, des idées viennent de-ci de-là, mais le financement est toujours un problème conséquent qui empêche certaines de nos idées de développer leurs ailes. Il ne fait pas de doute qu’au fur et à mesure des rencontres et des échanges, d’autres idées d’actions seront envisagés. Nous devons ne rien sous-estimer et nous laisser la possibilité de faire, et d’accomplir encore plus.
Contrairement à ce qu’aiment à répéter certains, le réformisme islamique issu de la pensée d’Al-Afghânî (m. 1897) et de Muhammad ‘Abduh (m. 1905) est loin d’être fini, oublié, ou vaincu. Bien au contraire, ce n’est que tardivement, à savoir maintenant, que les bourgeons du renouveau commencent à s’ouvrir après tant d’efforts contraires de la part les conservateurs et des traditionalistes pour dénaturer la pensée des artisans de la Renaissance (Nahdha) islamique qu’étaient ces deux hommes. L’ARIM, l’AIM, mais aussi l’ensemble des associations inclusives et progressistes trouvent dans la Nahdha un point d’appui théologique pour des revendications de liberté et d’équité.
Sous la juste bienveillance divine…
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