Vue de la mosquée de Paris (Wikimedias commons)

Ce texte a été publié sur le site lamosqueefatima.com le 22 février 2021. 

Depuis quelque temps, le Conseil français du culte musulman (CFCM) s’étale sur tous les médias. La raison ? Sa proclamation d’une charte de dix articles, dite « pour un islam de France » dans laquelle il admet la parfaite compatibilité entre les valeurs de l’islam et celle de la république. Cette charte sera même paraphée et appliquée par le Conseil national des imams (CNI), nouvel organe lié au CFCM, et comme ce dernier, fortement souhaité par les autorités publiques.

Une liaison dangereuse

Si la charte en elle-même ne me pose pas vraiment de difficulté, moi musulman considéré comme libéral, elle m’interpelle néanmoins sur bien des aspects. D’abord, tout ce travail du CFCM est le produit d’une commande de la présidence de la République. Après le meurtre abject du professeur Samuel Paty en octobre dernier, les autorités publiques ont voulu que l’islam de France s’organise. Comme si les deux choses étaient liées. Comme si une bonne organisation des musulmans aurait pu empêcher le meurtrier de ce malheureux professeur d’agir de son côté. Par quel miracle un attentat terroriste abject fait au nom de l’islam, peut-il avoir un rapport avec l’organisation des musulmans en France ? Par quel réflexe passe-t-on de l’un à l’autre ? D’autant plus, que le terroriste en question, n’avait pas vraiment de lien avec l’islam institutionnalisé. Ce jeune homme, s’était mis en contact avec des radicaux établis en Syrie via internet.

À moins de penser qu’il y a un rapport entre la vie cultuelle islamique banale et le terrorisme islamiste ; ce qui serait une liaison dangereuse et pour le moins problématique, je ne comprends pas cet empressement à vouloir doter l’islam de France d’institutions artificielles. Autre problème, déjà soulevé par l’imam de Bordeaux, Monsieur Tareq Oubrou, celui relatif au rapport à la théologie. Car en effet, comment penser qu’une charte liée à la compréhension de la religion musulmane en France, et à un conseil national des imams, puisse ne pas avoir de rapports avec la question théologique ? Or, à notre connaissance, aucun théologien n’a participé à la rédaction de ce texte. Celui-ci est le produit du travail des notables du CFCM, dont aucun n’est théologien.

CFCM VS Français musulmans

Sous quels soubassements théologiques les rédacteurs de la charte se sont-t-ils donc appuyer pour justifier leur prise de position ? Admettre le libre arbitre, l’égalité homme femme, la validité de la diversité des opinions islamiques, rien de tout cela n’est anodin. Certaines de ces questions ont donné lieu à de longues controverses à travers les siècles de l’histoire islamique. Mais tout cela a été résolu dans une déclaration de dix articles. Des siècles de controverses, de polémiques et parfois de violences, réglés grâce à un coup de baguette magique. La question étant de savoir l’identité du sorcier et où il se trouve : à Alger, Rabat, Ankara, ou à l’Élysée. Ce qui est sûr, c’est que les Français musulmans eux, sont absents du texte.

Mais à y regarder de plus près, jusqu’à quel point ces engagements pris par les responsables du CFCM pourront-il avoir un impact dans la vie culturelle des mosquées qui lui sont affiliés ? En effet, d’après la charte, faut-il comprendre que les fédérations et les associations musulmanes devront agir pour permettre à des femmes d’accéder aux mêmes fonctions que les hommes, que ce soit dans l’administration des mosquées, ou encore dans l’imamat ? Le CFCM préconise-t-il que des femmes puissent être imames ? Cela, le CFCM ne le dit pas explicitement, mais on peut penser que c’est le cas en lisant le texte de la charte. Néanmoins, je ne suis pas naïf à ce point. Je ne pense pas que le CFCM aille jusqu’à reconnaître aux femmes le droit à l’imamat.

Comment croire sincèrement à une déclaration qui se veut tournée vers l’islam de France alors qu’elle a été promulguée par des représentants de l’islam consulaire. C’est-à-dire d’organisations religieuses inféodées à des puissances étrangères. Comment défendre un attachement viscéral à la France et vouloir disqualifier des groupes ou associations à cause de leur proximité réelle ou supposée avec des puissances étrangères, alors qu’on est soi-même les porte-voix de l’Algérie, du Maroc, ou encore de la Turquie ? Enfin, comment prendre au sérieux le fait de placer le mouvement Tabligh parmi les tendances politico-religieuses ? Alors que ce mouvement est surtout réputé pour son orthopraxie et son refus de se mêler des questions politiques.

Admettre le libre arbitre, le droit à un libre examen, penser la possibilité de nouvelles pratiques, le CFCM aurait-il adopté une approche théologique rationaliste ? Ou finalement, cette charte n’est-elle qu’une réponse à une commande et qui sera oublié à peine signée et approuvée par le commanditaire ? En dernière analyse, quelle force accorder à un tel document sachant le peu de crédit des auteurs, ni théologiens, ni libérés de puissances étrangères ? Pour moi, et je parle en mon nom propre, cette charte, mais aussi le CNI et tout le CFCM, n’ont pas de valeur réelle. Les Français musulmans doivent continuer à œuvrer comme ils le font déjà. En bâtissant petit à petit et « vingt fois remettre le cœur à l’ouvrage » loin des approbations des capitales de pays étrangers, et même de Paris. Car nous sommes, nous Français musulmans, déjà une réalité…française.