Chers amis, chères amies. L’heure est grave, il faut agir. Comme beaucoup d’entre vous sans doute, je suis atterrée, dévastée et terriblement préoccupée de voir encore et toujours des meurtres commis au nom de Dieu et du Coran. Depuis au moins 2015, le mois de Ramadan est instrumentalisé par les jihadistes pour multiplier leurs attaques. C’est pourquoi il me semble nécessaire, en plus d’en faire un moment spirituel fort, de faire de ce mois sacré un moment privilégié pour mettre les choses au clair et tenter d’engager un travail critique pour refonder une méthode de lecture du Coran qui pourrait empêcher qu’il soit instrumentalisé, décontextualisé et jugé intouchable afin de commettre des abominations.

Je parle d’un renouvellement de notre méthode de lecture du texte car c’est selon moi précisément de là que vient le problème non seulement du terrorisme mais aussi du conservatisme. La sacralisation du Coran, la volonté d’en faire un texte totalement transcendant et inaltérable est allée trop loin. C’est pourquoi nous ne pouvons plus nous contenter de ne pas affronter ce problème. Les jihadistes et tous les conservateurs musulmans lisent et appliquent le Coran comme s’il s’adressait à eux, donc estiment que tout ce qui est écrit est obligatoire, notamment les versets qui appellent au meurtre. Ils refusent de considérer qu’un seul verset du Coran soit caduc, car pour eux, ce serait changer la Parole divine, et quel sacrilège pour l’orthodoxie ! Or n’est-ce pas falsifier la Parole divine que de lui faire dire n’importe quoi en la calquant sur un contexte qui n’est plus celui de Muhammad ?

On peut bien sûr voir dans le Coran des significations cachées touchant à des réalités absolues, mystiques et métahistoriques complexes : mais cela doit rester de l’ésotérisme utile pour notre progrès d’être et ne pas déborder sur les comportements extérieurs quand ceux-ci impliquent la relation avec autrui. Dans l’intimité du rite, chacun fait comme il le souhaite dans le respect de sa propre dignité. Il faut prendre ces précautions intellectuelles car il est désormais dangereux de laisser entre les mains de n’importe qui ce texte et l’idée que ses prescriptions sont encore valables pour nous aujourd’hui.

En raison de cette urgence, nous devons trouver des moyens radicaux pour soigner ce mal qui ronge l’islam, quitte à faire quelques concessions avec nos réflexes dans l’utilisation systématique du Coran pour justifier son point de vue comme je peux le faire moi-même. Le but est d’empêcher tout prétexte pour brandir le texte afin de justifier des positions actuelles. Notre effort d’interprétation doit prioritairement se porter sur l’explicitation des conditions de la Révélation et le choix de traductions françaises en accord avec le contexte du VIIe siècle. Ensuite peuvent venir les interprétations ésotériques, mais pas avant que le sens littéral soit clair et bien recontextualisé dans son environnement historique et littéraire pour éviter toute dérive.

Pour commencer, il me semble nécessaire de cesser de croire, avec grande prétention, que nous serions les récepteurs du Coran et que tout ce qui est dit s’adresse à nous. Dire cela, c’est finalement vider de son sens historique le texte et c’est risquer de laisser des individus dérangés s’imaginer qu’eux aussi peuvent voir des adresses faites à eux en utilisant la même méthode de lecture. Alors, effectivement, si on considère que le fameux verset « Pas de contrainte en religion » s’adresse aussi à nous, cela n’aura pas de conséquences néfastes ; mais la même méthode d’universalisation du texte est utilisée par les jihadistes lorsqu’ils sont persuadés que les versets invitant à tuer s’adressent à eux.

Accepter l’idée que le texte s’adresserait encore à nous, c’est finalement justifier tout et son contraire, que ce soit des choses bonnes et bienveillantes mais aussi des choses désastreuses. Ce genre de positionnement intellectuel me paraît être très dangereux surtout en ces temps qui courent…

C’est avec cette nécessité en tête que je publierai mes chroniques du Ramadan : la nécessité d’appeler toutes celles et ceux qui le jugent nécessaires de trouver de nouveaux critères pour stopper ces lectures universalistes, essentialisantes, rigoristes et littéralistes du Coran.

Paix. Salâm.