Ce à quoi on ne s’attend pas quand on se convertit, c’est de la rapidité et de la fréquence à laquelle on vous parle de ce qui est obligatoire et de ce qui est interdit. « Tu ne dois pas manger de porc », « tu ne dois pas montrer ton corps », « tu dois porter le voile », « tu ne dois pas boire d’alcool », « tu ne dois pas danser », « tu ne dois pas écouter de musique »…
Cela tombe sur vous comme une chape de plomb et vous vous demandez si vous cédez sous la pression ou si vous vous sauvez à toutes jambes. A moins qu’il n’y ait une troisième voie…
Mon propos ne sera pas ici une analyse fine des interdits religieux, mais bien de proposer une démarche de réflexion sur ce sujet, dont chacun pourra ensuite facilement s’emparer à sa convenance.
Les premiers interdits dont on m’a parlé sont ceux liés à l’alimentation, cités dans la sourate V, verset 3 « sont illicites la bête morte, le sang, la viande porcine… ». Il faut manger hallal et ne pas boire d’alcool. Manger hallal ? La question fait débat. Surtout au regard du verset 5 « il vous est permis aujourd’hui les nourritures purifiées ». Quel sens donner à cette expression « nourriture purifiée » ? Ne faudrait-il donc pas, en notre XXIe siècle, repenser le concept du hallal dans sa globalité ? Est-ce qu’au vu de l’évolution de la société et de ses problématiques il ne vaudrait pas mieux manger bio ? Ou hallal et bio ? Ou encore local ? D’autres avancent végétarien. Quant à la question du porc, certains ne comprennent pas pourquoi il serait encore justifié à notre époque de s’en priver, si ce n’est pour suivre la coutume. On voit bien là qu’appliquer un interdit au pied de la lettre sans l’assortir d’une démarche de réflexion ne parait ni très judicieux ni allant dans le sens d’une démarche spirituelle.
Quand on interroge les gens sur la question de l’alcool, ils la perçoivent plus comme une question de santé que comme un interdit à proprement parler. Certains ne se privent d’ailleurs pas d’en boire, mais toujours avec modération. Suivant d’ailleurs les prescriptions du début du Coran dans lequel l’interdiction de l’alcool se fait de façon progressive. Ainsi dans la sourate IV, verset 43 c’est le fait de prier sous l’emprise de l’alcool qui est interdit, pour arriver à la sourate V, verset 90 à l’interdiction totale des boissons alcoolisées « vous qui croyez, l’alcool, le jeu d’argent, les bétyles, les flèches (divinatoires), ne sont que souillures machinées de Satan…écartez-vous en dans l’espoir d’être des triomphants ». Encore une question sur laquelle l’harmonie est difficile, d’autant qu’à la lecture attentive de ce dernier verset on peut se demander s’il s’agit réellement d’une interdiction ou plutôt d’une vive recommandation.
Très vite aussi on m’a parlé de la musique et de la danse comme de choses immorales et illicites. Je n’ai pas trouvé de référence explicite à ce sujet dans le Coran mais on m’a beaucoup cité de hadiths (discours attribués au Prophète). Surtout pour attester que dans la sourate 31, verset 6 et dans la sourate 53, versets 59 à 61 le prophète parlerait de musique quand il fait référence aux « plaisants discours ». J’ai consciencieusement essayé de me documenter sur le sujet, tâche ardue quand on vient de se convertir et que l’on ne connait que le Coran et pas les hadiths. J’avoue que l’argumentation que l’on m’avançait m’est apparue particulièrement floue. C’est là que j’ai pris conscience qu’il était primordial dans sa quête spirituelle de réfléchir par soi-même, de se documenter, de confronter ses idées à celles des autres dans une démarche constructive, et que cette quête spirituelle serait désormais le chemin de toute ma vie.
D’autres interdits qui sont à l’origine de tabous importants, et sur lesquels les langues se délient plus facilement via la toile sont les interdits liés à la sexualité. J’ai eu l’occasion de quelques discussions avec des musulmans brisant ouvertement ou en cachette les tabous liés aux interdits sexuels.
On m’a souvent avancé que ce qu’ils faisaient était certes condamné par le Coran, mais que comme ils ne faisaient de mal à personne, la faute n’était pas trop grave. Une forme de déculpabilisation pour certaines personnes en quête de liberté mais pas encore prêtes à assumer certains choix de vie. D’autres s’auto-flagellent et sont incapables de se décider entre vivre avec cette culpabilité ou arrêter leurs activités. Il arrive même que l’esprit soit tellement englué dans le sentiment de culpabilité, le mal qu’elles s’infligent inconsciemment et l’incapacité de faire progresser la situation que la personne ne soit plus à même de se rendre compte des dommages collatéraux qu’elle peut produire sur d’autres. Certains reconnaissent vivre en plein grand écart entre deux « vies parallèles », celle de croyant et une autre plus intime. Pour quelques-uns cela va jusqu’à un mal être tellement profond qu’ils doivent faire appel aux services d’un spécialiste. Une majorité de ceux que j’ai interrogés sur les interdits sexuels ont peu réfléchi à leur origine et à leur sens et les ont assimilés parce qu’issus de la tradition et sanctionnables par un châtiment divin.
Pour beaucoup de musulmans la culpabilité que ressent le croyant face à l’interdit est inévitable. Il doit vivre avec. Il peut aussi entamer un processus de réflexion sur le sens de l’interdit et son rapport à la chose. Cela pourrait l’amener à un apaisement, et même pourquoi pas à appréhender la question de l’interdit religieux avec une certaine sérénité.
Pour pouvoir faire évoluer notre rapport à l’interdit il faut à mon sens définir à quelle catégorie il appartient et donc à quel niveau il doit se réfléchir.
Certains interdits concernent le collectif, et donc le vivre ensemble. Ils sont associés à la loi. Ceux-là ne portent guère à interprétation et quand il doit y avoir débat ce ne peut être qu’au niveau de la sphère publique. On ne peut remettre en question les règles élémentaires de la société comme l’interdiction de tuer, de blesser, de violenter par exemple.
Si l’interdit concerne la sphère familiale, son interprétation ne concerne que la famille et le dialogue dans le respect de chacun de ses membres doit se construire au sein du couple ou de la famille dans son ensemble. Ce sera le cas notamment pour ce qui concerne le régime alimentaire.
Enfin d’autres interdits concernent l’individu. La réflexion est alors intime, et ne devrait théoriquement pas être mise en balance par le jugement des autres. Le croyant choisit en son âme et conscience sa façon de se comporter au regard de cet interdit.
Quelle que soit l’échelle de réflexion ce processus doit être en adéquation avec les valeurs que l’Islam nous inspire au quotidien, à savoir la quête d’une excellence morale et le respect des autres et de soi-même.
A mon sens, réfléchir à l’interdit revient à se demander ce que l’on doit faire, ce que l’on peut faire pour être en harmonie avec les autres et sa conscience mais en tout état de cause cela participe à notre quête d’excellence morale. Nous sommes davantage ici dans l’acte spirituel qu’en appliquant à la lettre un dogme incompris.
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