Le 22 avril dernier, des intellectuels, politiciens, artistes et même certains imams, ont lancé un appel contre ce qu’ils appellent de « nouvel antisémitisme ». Au cœur de leur propos, une demande qu’on ne peut qualifier autrement que de ridicule et d’insultante.

En effet, ils précisent dans leur argumentaire « En conséquence, nous demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques ». Ce qui est clair dans leur propos, c’est qu’ils ignorent tout de l’histoire de l’exégèse en contexte islamique. Cela montre le niveau des imams signataires.

Non, le Coran n’appelle pas au meurtre des non-musulmans. Il y a bien des passages violents dans la lettre du texte, mais comme l’explique la tradition exégétique, il faut savoir replacer ces passages dans leur contexte, à savoir celui d’une guerre en cours (siège de Médine), avec trahisons de pactes conclus. En aucun cas il ne s’agit de s’attaquer aux non-musulmans parce que non-musulmans. Et si vous pouvez effectivement trouver des gens (parfois musulmans) pour bien défendre cette thèse, agressive, la tradition herméneutique islamique est assez riche pour montrer des alternatives. Non pas des alternatives de notre crue, actuelle, pour plaire, mais qui existaient déjà dans la tradition théologique existante.

Prétendre lutter contre l’antisémitisme de (et non pas des)  musulmans, ou de personnes se présentant comme telles, avec une formule comme celle-ci : « nous attendons de l’islam de France qu’il ouvre la voie. » c’est dire de manière claire, que c’est l’islam, dans son essence même, qui est tourné vers la domination et l’exclusion des autres. Si tel était le cas, il n’y aurait plus eu de chrétiens d’Orient ni de juifs dans le monde musulman depuis très longtemps. Les crises nationalistes, la colonisation, et les contre coups du conflit israélo-arabe (et non judéo-musulman), ont porté un coup fatal à une coexistence active qui a duré des siècles. Prétendre que des théologiens pourraient, par une quelconque opération mettre fin à l’antisémitisme de prétendus musulmans haineux, est, au mieux, naïf ; au pire, le fruit d’une démarche perverse qui consiste à livrer l’islam et donc les musulmans à la vindicte populaire.

Car imaginons un instant que les signataires de cet appel, aient raison. Qu’est-ce que cela voudrait dire ? Tout simplement que tout citoyen français de confession musulmane croit en un texte dont les aspirations le pousse, potentiellement, à condamner l’existence même de la possibilité de ne pas être musulman. Plus simplement, tout musulman est un agent potentiel de Daesh et consort. Le pire dans cette conception des choses, c’est qu’il s’agit de l’exacte compréhension de l’islam selon Daesh. Décidément, les extrêmes s’attirent.

Messieurs, mesdames, votre connaissance de l’islam (tout aussi « imams » que vous prétendez être), est nulle et d’une superficialité grave. Nous serions tout aussi légers que vous, si nous disions que des gens n’utilisent pas la religion musulmane pour dominer, exclure, et humilier, des minorités religieuses, les femmes, les homosexuels… Nous sommes pertinemment conscients de ces problèmes et les combattons sans relâche et sans aucune hésitation. Toutes les haines sont des crimes et doivent être combattues, sans conditions. Seules les libertés individuelles et la dignité humaine doivent être respectées. Ce sont les valeurs que nous défendons, des valeurs humanistes que l’on retrouve dans notre interprétation du Coran. La haine a besoin de justifications, pas de vérité. Nous savons qu’il n’existe qu’une seule race humaine, et cela n’empêche pas certains de considérer d’autres être humains comme inférieurs.

Nous luttons sans relâche contre une compréhension ancienne de l’islam, contre un discours traditionaliste et marqué par un paradigme hégémonique que Omero Marangiu-Perria a si bien montré dans ses travaux. La compréhension de l’islam, autrement dit, la shari’a dite médiévale, est réellement marquée par une forme d’obsolescence. Mais cette obsolescence ne touche pas les fondements de la foi (la croyance en Dieu, Ses anges, Ses prophètes, Ses livres et au Jour du jugement), ni même aux rites, qui sont tous, de toute manière, adaptables ; mais plutôt à la question du poids de la religion dans l’organisation de la vie collective et donc au respect des principes de liberté et de dignité humaines. Or le rapport entre les sexes, entre les différentes appartenances, qu’elles soient confessionnelles, ethniques, ou d’orientation sexuelle par exemple doivent être modifiées. Et nous savons que ces modifications ne changent rien au cœur du message coranique et donc islamique.

Mais vous, mesdames et messieurs les signataires, non seulement vous stigmatisez tous les musulmans, les assignant tous à une essentialisation humiliante et monstrueuse, celle d’antisémites en puissance. Mais en plus, vous assignez ceux que vous qualifiez de « musulmans réformateurs, libéraux et éclairés » à être « évidemment d’accord », comme l’a dit l’un des signataires (en l’occurrence Pascal Bruckner sur France Inter). Et donc, si on ne l’est pas, nous sommes forcément antisémites ? Eh bien notez bien que nous rejetons catégoriquement votre appel, car stigmatisant et humiliant à la fois, c’est une véritable claque pour tous les musulmans.

Mais ne vous y trompez pas. Les agressions antisémites, d’où qu’elles proviennent, sont des actes abominables, car rien, aucun prétexte, qu’il soit religieux ou non, ne peut légitimer une agression à cause d’une différence. Si un appel à lutter contre l’antisémitisme, comme tout appel à lutter contre toute forme de haine et de rejet de l’autre est légitime ; votre manière de le faire : vos approximations, ambiguïtés et intentions troubles, disqualifient votre tentative.

Nous, musulmans dits libéraux, réformistes, pour une relecture des textes, sans trahison de l’esprit du Coran (ceux qui ne le connaissent pas trouveront de quoi s’occuper) ; nous ne rejetons pas la condamnation de l’antisémitisme, que nous partageons sans ambages. Mais nous rejetons votre appel, celui daté du 22 avril, car c’est une caricature, et une agression symbolique outrageuse de l’islam et des musulmans dans leur ensemble. Vous appelez les gens à se méfier de nous tous, comment distinguerez-vous les « bons » musulmans des mauvais ? A la signature de votre pamphlet ? Cela nous le refusons. Votre ligne éditoriale n’a rien à envier à l’extrême droite. Quant à nous, nous vivons et agissons, et le ferons encore, avec les démocrates, ceux qui croient en la liberté et en la dignité humaines, et peu importe leurs convictions religieuses, leurs origines, ou encore leurs orientations sexuelles.