Récemment, j’ai eu l’occasion de discuter de la question de savoir s’il était possible à une femme musulmane de devenir imam(e). La réponse qui vient automatiquement ou presque, dans un réflexe quasiment naturel, sans trop savoir pourquoi, est de dire « non ». Mais qu’en est-il si l’on décidait de poser la question de manière un plus sérieuse ? Est-ce que ce « non » initial est justifié ?

Le mutazilisme pose pour principe que la raison est le premier instrument de connaissance religieuse, à condition que cet instrument soit utilisé conjointement, et en accord, avec le Coran. Donc, que nous dit le Coran sur la possibilité ou non de l’imamat féminin ? Eh bien, pas grand-chose. Mais ce qui est sûr, c’est que Dieu n’interdit pas l’autorité ou le pouvoir à une femme. Pour s’en convaincre, il suffit d’évoquer la vision élogieuse de la reine de Saba, ou encore l’autorité de Marie en tant que membre d’une famille de religieux.

D’autres soutiennent que le Coran interdit aux femmes d’élever la voix. Or, si une femme ne peut élever la voix, comment pourrait-elle guider la prière ? Puisque pendant l’office, le ministre du culte doit lire des versets, et plus généralement officier à haute voix ? Pour répondre à cette objection, il faut commencer par poser la question de l’interprétation des textes. Ceux qui défendent l’idée précitée défendent une lecture littérale et mimétique du Coran. Avec cette approche, il n’est pas possible de poser la question du sens, et donc de la sagesse du message coranique. L’approche littérale ne consiste qu’à singer une attitude ancienne, et ne permet pas à l’homme de rentrer en résonance, ou en harmonie avec la Révélation.

Or, si l’on s’attache à comprendre le sens, et la sagesse du message, alors l’interprétation des versets varie, et tout change. Ainsi, lorsque Dieu rappelle aux femmes qu’elles ne doivent pas élever la voix, Il ne fait que demander aux femmes en particulier ce qu’Il demande aussi aux hommes (en terme de genre). Hommes ou femmes, les croyants ne doivent pas se laisser porter par leurs émotions et perdre le sens de la mesure dans leurs propos. Ne pas s’emporter, par la joie, la tristesse ou la colère. Rappelons un des hadiths du Prophète : un jour, un de ses compagnons lui demanda de lui laisser une recommandation importante. Le Prophète avait dit à l’homme :

« Ne te mets pas en colère, ne te mets pas en colère ; puis, ne te mets pas en colère. »

Ainsi, le croyant véritable doit avoir ce que d’aucuns appellent « l’empire sur soi », à savoir la maîtrise de soi-même. C’est cela le sens des versets qui appellent à ne pas élever la voix. Car si les versets rédigés au masculin s’adressent aussi aux femmes, pourquoi les versets adressés aux femmes (sauf ceux qui ne peuvent concernés la morphologie masculine), ne pourraient aussi s’adresser aux hommes ?

Autre objection, celle qui repose sur la Sunna. Ainsi, un hadith très connu et répété à l’envie, dit qu’une nation dirigée par une femme s’engage sur la voie de l’égarement et de la catastrophe. Toutefois, ce hadith est connu par les spécialistes et les savants pour être dâ’if (faible, peu fiable). On ne doit donc pas en tenir compte. Il est pourtant malheureux de voir la crédibilité qui lui est souvent porté. De statut peu fiable, je ne vais donc pas m’épuiser à objecter à ce hadith quoi que ce soit, son statut parle pour lui.

Je vais plutôt m’intéresser à la vraie Sunna. Notamment à un épisode peu connu mais attesté par tous comme étant authentique. Il s’agit de la nomination par le Prophète d’une femme à la direction de la prière dans son secteur. En effet, la mosquée de Médine n’étant plus en mesure d’accueillir tous les fidèles, l’envoyé de Dieu demanda à une femme, Umm Waraqa, de diriger la prière dans son dâr. Dâr est un mot polysémique, qui peut vouloir dire « maison » mais aussi « zone ». Ainsi, l’expression Dâr al-Islâm, veut dire « maison de l’islam », donc « monde musulman » ou « territoires de l’Islam ». C’est dans cette nuance que repose l’objection à l’imamat des femmes de certains. Selon eux, cette nomination a été faite par le Prophète pour qu’Umm Waraqa ne dirige la prière que chez elle, dans son domicile, où résidaient ses servants (dont un homme). Le terme ne désignerait pas un quartier. Pourtant, selon d’autres, il s’agissait bien de tout son quartier. Quoiqu’il en soit, personne ne conteste que le Prophète Muhammad lui-même, notre modèle à suivre en tant que musulmans, à lui-même nommer une femme pour diriger la prière. Cela devrait être, en soi, suffisant pour rendre crédit à l’imamat pour les femmes.

S’appuyant sur la Sunna et le Coran, des tentatives modernes pour faire admettre l’imamat des femmes ont eu lieu. La plus célèbre est sans doute la célébration du culte, un vendredi, par une femme américaine en mars 2005, Amina Wadud. Une islamologue, qui a notamment étudié à Al-Azhar, et qui enseigne dans l’université de Virginie. Une autre imame a aussi accompli la prière devant une assemblée mixte, comme sa consœur, au Canada cette fois. En Europe, une femme imam de troisième rang a été nommée en Wallonie en Belgique. Une autre officie devant une assemblée mixte en Italie. Il est à noter que dans certains endroits d’Inde et d’Afrique, des femmes imames (qui n’officient que pour les femmes) existent, elles sont généralement issues de sociétés matriarcales. De même en Asie centrale, mentionnons l’institution des Umm (mère) qui font des causeries religieuses chez elles et jouent un rôle de maîtresses spirituelles pour les femmes.

En outre, en Chine, l’imamat des femmes est répandu, notamment dans le Yunan, où les mosquées ont la particularité d’être « doublée », chaque mosquée en contient deux : une pour les hommes avec un imam, et une pour les femmes avec une imame. Enfin, le Maroc a reconnu et permis la formation d’une centaine d’imame, les Murchidates, plus ou moins traduisibles par les « conseillères », à savoir des imames femmes pour les femmes.

Ainsi, après analyse, mon « non » initial et presque naturel à la question de savoir si une femme pouvait devenir imam du début de l’article se révèle être précipité et injustifié religieusement. L’obstacle qui se pose à l’imamat des femmes est psychologique et culturel, mais certainement pas religieux. Il n’y a qu’à voir les exemples de femmes dans l’islam, que ce soit dans le Coran ou la Sunna, mais aussi dans l’histoire (que dire de la figure de la grande Rabi’a Al-‘Adaouiya), pour savoir que rien ne s’y oppose réellement. J’ignore l’avis des savants mutazilites, bien que j’aurais aimé le connaître. Mais quand bien même, eussent-ils été opposés, cela ne change rien à mon propos. Comme je l’ai dit plus haut, je ne singe pas, je cherche à vivre ma foi, non à la copier.