Voici un extrait d’al-Muzaffar (Des croyances du chiisme) concernant la vision de Dieu.

Al-Muzaffar était un grand théologien né à Najjaf en Iraq. Fils de théologien, lui-même théologien.

« Quiconque suppose que Dieu ait un visage, des mains, des yeux, ou croit qu’Il descendra du ciel sur la terre ou qu’Il apparaîtra devant les gens au paradis, comme une lune, etc. est semblable à celui qui ne croit pas en Dieu, ou qui multiplie Dieu et devient ainsi coupable de polythéisme, ignorant que Dieu est au-dessus de tous ces défauts.

Similairement, ceux qui croient que le jour du Jugement, Dieu se montrera devant ses créatures, et que celles-ci le verront ce jour-là, sont des incroyants (sic), même s’ils continuent à affirmer verbalement que Dieu n’a pas de corps. Les tenants de cette vision de Dieu se sont arrêtés seulement au sens apparent du saint Coran et des traditions, sans se donner la peine d’utiliser leur intelligence pour comprendre la lettre et l’esprit des versets du saint Coran. Ils ont renié leur intellect et l’ont figé. C’est pourquoi ils n’ont pas pu analyser le sens des mots selon les exigences de l’analyse, de l’argumentation, des règles des métaphores et du sens figuré, pour comprendre le sens réel du Coran, comme cela devrait être logiquement. »

Explication logique

Ce cours extrait de l’imam Muhammad Rida Al-Muzaffar nous livre un concept âprement défendu par le mutazilisme. L’impossibilité de la vision béatifique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Dans la théologie classique, il est dit que le pieux sera rétribué, lors du Jugement, par la vision de Dieu, entre autres choses. Il verra la « face » de Dieu en guise de récompense, comme il a été dit dans le Coran. Toutefois, comme l’a bien rappelé l’imam, le Coran doit être lu et surtout, analysé avec les exigences des règles de l’analyse, de l’argumentation, et surtout, des règles des métaphores donc du sens figuré. Les images employées par le livre ne servent qu’à expliciter une pensée ou un concept. Car Dieu, l’Être suprême, Infini, et donc infiniment Sage, ne saurait être compris, par des êtres finis, à savoir nous, les hommes.

Com-pris, « com- » vient du latin con qui indique la conjonction « et ». Com-pris, veut dire « prendre avec [l’esprit]». Prendre avec l’esprit une chose, c’est la comprendre. Or, comment des esprits finis, donc limités dans le temps, dans l’espace, dans la capacité d’assimilation des connaissances, pourraient comprendre l’Infini ? Cela ne se peut. De même, comment un être aux possibilités physiques limitées, pourrait-il voir l’Être infini ?

Même s’il ne s’agit que de voir la « face » de Dieu, n’oublions pas ce principe d’Euclide, qui veut qu’une partie de l’infini, soit elle-même infinie. Car, en dernière analyse, on ne saurait fragmenter l’infini. Celui-ci n’a ni commencement ni fin. Aristote définissait l’infini comme une étendue qu’on peut parcourir sans fin. C’est la le problème de la vision béatifique : l’homme fini, ne peut comprendre, ou même voir, l’Être infini, pour de pures raisons techniques. Cela ne se peut tout simplement pas. Affirmer le contraire, c’est comme dire qu’il nous serait possible de contenir les océans dans un verre d’eau. C’est pourquoi l’imam al-Muzaffar a un jugement dur et sans appel contre ceux qui défendent la vision béatifique.

Un Dieu transcendant inaccessible ?

Dieu qui échappe, in fine, à notre entendement ; Dieu qui échappe même à nos sens. Cela veut-il dire que cette manière de voir Dieu fait de Lui un être hors de portée, un Dieu séparé des hommes et du monde de manière absolue ? Non. Dieu nous rappelle dans le Coran qu’Il est plus proche de l’homme que la propre veine jugulaire ne l’est de celui-ci. Dieu nous entend et sait tout, Il est l’Omniscient. De même qu’Il est Le Sage. Celui qui nous a créé et nous laisse la liberté d’agir, de faire ou de ne pas faire. Il nous laisse trouver notre chemin et le sens de notre et de la vie. Il peut agir, faire ou ne pas faire. Mais c’est une preuve de son amour qu’Il ne le fait pas. Car Dieu ne veut pas que nous soyons des marionnettes, ou des robots programmés.

C’est ce que je retire à la lecture du Coran. C’est ce que je retire aussi du sens global de la Révélation. Dieu n’intervient sur terre qu’en posant des signes (ayât) pour ceux qui savent voir. Libre à nous de les prendre en compte ou non. D’aucuns se plaignent que l’islam défend une conception de Dieu glacée, faisant de Celui-ci un être hors de portée et impersonnel. Or, ils n’ont pas compris que Dieu ne nous délaisse jamais, mais nous laisse simplement la possibilité de vivre pleinement, choisissant le bien ou le mal, ou un peu des deux. Si nous ne pouvons pas choisir le mal, alors il n’y a pas choix du bien non plus. Pour être libre, nous devons avoir le choix et donc pouvoir prendre la mauvaise voie. Qu’aurions-nous à faire d’un Dieu esclave, Dieu-béquille, d’un chien servant ? Absolument rien !

Les paroles de Muhammad Rida Al-Muzaffar nous renvoie donc à l’idée que Dieu est le Transcendant, celui qui échappe à notre raisonnement et à notre imagination, car Il ne connaît pas de limites. Donc supposer Le voir, ou supposer qu’Il a une main, des yeux, une face, ou même un Trône, réels, au sens propre, c’est faire preuve d’ignorance et d’anthropomorphisme. Ce que l’islam rejette. Dans l’acceptation de Dieu, dans l’acceptation de la foi, nous renonçons aussi à prétendre tout comprendre sur Lui. Armons-nous de la Révélation, et admettons au sein d’une foi forte, et d’une théologie puissante qui repousse les idioties de Dieu, admettons dis-je, une petite part d’agnosticisme. Nous pouvons trancher et purifier des énormités, mais en acceptant qu’Il est infini et nous finis, nous admettons, de facto, notre incapacité à savoir ce qu’est Dieu : Dieu est Amour est réducteur et équivoque. Dieu est Omniscience l’est tout autant.

Dieu est tout cela à la fois, et sûrement bien plus… Il est nécessaire aujourd’hui de nous éduquer à avoir une pensée complexe pour comprendre qu’il est impossible de réduire Dieu en une seule caractéristique. Cette éducation au « à la fois », cette accoutumance au paradoxe de Dieu est fondamentale.