D’aucuns pourrait penser qu’avec Mais au fait, qui était vraiment Mahomet ? d’Ismaël Saidi et Michaël Privot, une énième biographie sur Mahomet, le prophète de l’islam, viendrait d’être publiée (aux éditions Flammarion). Or il n’en n’est rien, car ce livre, outre l’érudition qu’on y trouve en termes d’informations sur la vie de l’initiateur de cette religion, n’hésite pas à aborder tous les aspects de ce personnage que les musulmans ont appris à (trop) idéaliser, alors que lui-même, ainsi que la révélation coranique, n’ont cessé de rappeler sa condition d’homme parmi les hommes. Ce livre entretien, présente sous une forme ludique, celui d’un échange entre un artiste musulman (Ismaël Saidi) et un islamologue lui aussi musulman (Michaël Privot), les aspérités d’une figure de l’histoire universelle qui n’a jamais cessé de rappeler qu’il n’était pas parfait. Ce livre aide à apporter un éclairage salutaire sur la question.
Une sīra “Confessante-Critique“
C’est l’histoire de deux amis, l’un artiste, né et grandit dans une famille musulmane ; l’autre, universitaire, né dans une famille non-musulmane, mais s’étant converti à cette religion et l’ayant étudié sous toutes ses coutures. Deux amis ayant pour point commun leur confession et leur nationalité, Belge. Dans une série d’entretiens qui ont lieu en différents endroits et en différentes occasions, l’artiste interroge l’islamologue sur la vie du Prophète (sīra, en arabe). Son origine, sa naissance, sa vie d’avant l’islam, et celle d’après. Les grands traits de la vie de Mahomet y sont examinés. Certaines idées reçues, bonnes ou mauvaises, y sont questionnées : le Prophète était-il analphabète (ummyy) ? Avant la révélation, était-il réellement un ḥanīf (monothéiste ni juif ni chrétien) ? Et puis si ḥanīf voulait dire ébionite à savoir, justement être un croyant judéo-chrétien ? La question du rapport aux femmes, aux juifs, les épisodes de guerres, de paix, relation avec les autres…toutes les questions ou presque y sont traitées.
Ce livre nous apprend la sīra du Prophète, mais il le fait en se maintenant sur une ligne de crête compliquée. Ainsi, il allie une démarche historico-anthropologique, et approche confessante à la fois. Autrement dit, c’est un livre qui est loin de l’apologétique glorifiante du Prophète dans les livres de type “confessants“, donc d’ouvrages écrits par des croyants. On est beaucoup plus près de l’approche historico-anthropologique, qui prend en compte les données historiques, mais aussi les mœurs et les usages des arabes de la région à l’époque (et dont certains us et coutumes se sont maintenus jusqu’à tout récemment), tout en assumant une parole de croyants. En somme, ce livre est à ranger dans une catégorie particulière de livres, que l’on pourrait dénommer, confessante-critique. Une approche de type « double C » ou C2. Or cette catégorie d’ouvrages est plutôt sélective et commence à peine à se développer. On pourrait y mettre les livres de Mohamed Bajrafil, Mahmud Hussein, Omero Marongiu-Perria, Tareq Oubrou et quelques autres.
Une biographie en contre-discours
Très actif dans le contre-discours, et la sensibilisation sur le fait islamique envers les jeunes musulmans, Ismaël Saidi pose des questions simples, reprend des interrogations de ses amis et des « on dit » sur le Prophète. Des questions que non seulement les jeunes, mais aussi des moins jeunes musulmans, et des non-musulmans se posent. Ismaël Saidi a écrit et joue une pièce à succès Djihad, à l’adresse des jeunes musulmans pour les sensibiliser au problème de la radicalisation violente (à laquelle il faut rajouter les pièces Géhenne et Les aventures d’un musulman d’ici). En outre, en collaboration avec un autre islamologue de renom, Rachid Benzine, il a écrit toujours à l’adresse des jeunes, Finalement, y a quoi dans le Coran ?. Les questions reprennent souvent des thèmes qui sont souvent mobilisés à des fins pas toujours honnêtes. Les auteurs en sont conscients, c’est pourquoi ils prennent en charge ces questions (rapport à la violence, aux femmes, l’âge de Aïcha lors de son mariage avec la Prophète –où l’on voit qu’à son mariage, elle aurait eu entre 18 et 21 ans-, rapport avec les Juifs de Médine et la question sous-jacente de l’antisémitisme en islam basé sur le comportement supposé du Prophète suite à l’expulsion voire à l’exécution –réelle ?- de tribus juives de l’oasis). Au lieu de taire ces questions comme beaucoup de musulmans le font sous prétexte que le Prophète était parfait ; Ismaël Saidi et Michaël Privot « prennent le taureau par les cornes », et font face à ces questions parfois difficiles. Mais en replaçant la prophétie dans son contexte, ils n’ont aucun problème, grâce à leur approche complémentaire du croyant naïf (à ne pas confondre avec stupide), et du docte bienveillant (à ne pas confondre avec condescendant).
Très informatif, critique par son approche historico-anthropologique, le livre Mais au fait, qui était vraiment Mahomet ? est aussi un ouvrage écrit par des croyants. Ismaël Saidi et Michaël Privot assument leur spiritualité musulmane, ils finissent même par se poser la question, « Et Dieu dans tout ça ? ». Evidemment, nous n’allons pas révélé davantage, mais ce livre réussit la prouesse ô combien compliquée à miracle de rendre compte de la vie d’un homme qui va bouleversé le monde, en le reconnaissant comme porteur d’un message divin, tout en étant ce qu’il n’a cessé de prétendre être, c’est-à-dire un homme parmi les hommes de son temps, avec ses forces et ses faiblesses.
Livre à lire absolument pour se débarrasser de la pensée magique omniprésente dans les ouvrages musulmans et qui, sous prétexte de respect et d’amour, mentent aux croyants et les maintiennent en dehors de réflexions qui peuvent être profondes, condition de possibilité à toute vie spirituelle digne de ce nom.
Mais au fait, qui était vraiment Mahomet
Mais au fait, qui était vraiment Mahomet ? d’Ismaël Saidi et Michaël Privot Flammarion, 2018, 18€, 337 p.,
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