Sunna : La « science » du hadith 

L’un des fondements de notre foi islamique est la Sunna (Tradition) du prophète Muhammad (sawas). La Sunna regroupe l’ensemble des enseignements, directs ou indirects, du prophète. En somme, il s’agit de son exemple. Dans cette partie, il s’agit d’examiner la prétention de l’existence d’une « science » de hadiths. 

Nous n’avons qu’un seul critère pour accepter un hadith, celui de la non-contradiction. C’est ce qu’a rapporté le spécialiste des hadiths chez les anciens mutazilites, Abû-l-Qassim Al Ka’bi (m. 931). Non contradiction avec les données élémentaires de la raison, et non-contradiction avec le Coran.

Savoir si tel ou tel rapporteur est de bonne foi, digne de confiance ou un menteur éhonté, nous ne pouvons pas le savoir. Les anciens eux-mêmes ne pouvaient pas le savoir. Les rapporteurs des différentes chaines ont été acceptés par les uns et rejetés par les autres pour des raisons qui n’ont souvent rien à voir avec la fiabilité des personnes, mais plutôt en raison de leurs filiations religieuses ou politiques. D’un point de vue historiographique, il nous semble impossible de reconnaître à la discipline des hadiths une quelconque revendication au statut de « science ». Plusieurs raisons justifient cela. D’abord, le dictionnaire Larousse décrit la science comme provenant du latin scientia ou de scire qui veut dire savoir. Ce terme désigne plus précisément un « ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d’objets ou de phénomènes ». Rappelons à toutes fins utiles, que le fait relève du faire, donc une action réellement constituée. Le terme objet provient du latin objectus, qui veut dire « action de mettre devant, d’opposer, obstacle, barrière » selon le dictionnaire Gaffiot. Enfin, « phénomène provient du grec phénoménon, il désigne la chose qui se donne aux sens (ouïe, toucher, goût…). Ce qu’il faut retenir ici de ces trois termes, c’est qu’ils renvoient tous à quelque chose de tangible, de concret, dont on peut faire l’expérience. Ce dont on peut faire l’expérience est vrai, mais comme il est toujours vrai, révélation ou non. Et ce dont on ne peut pas faire l’expérience, relève de ce qui pourrait devenir connaissance en fonction du développement de notre recherche et de la croissance de notre savoir, ou alors il est impossible à vérifier parce que tout simplement faux et/ou incohérent.

La « science » du hadith échappe à toute possibilité d’expérimentation, et donc de vérification. Pis que cela, puisque la « science » du hadith a réussi l’exploit de produire un nombre croissant de maximes et d’aphorismes des siècles après la mort de celui qui était censé les avoir prononcé. Pour montrer mon propos, les historiens et autres spécialistes disent qu’Abû Hanifa Al Nu’man, maître éponyme de l’école hanafite, mort en 767, soit plus d’un siècle après la mort du prophète, aurait rapporté dans un ouvrage aujourd’hui perdu dix-sept hadiths. Il était connu pour son scrupule sur la question, et il n’a rapporté que ceux dont il était sûr de l’authenticité. A la même époque, Malik Ibn Anas (m.796, fondateur du malikisme), collecte mille hadiths dans son Muwatta. Mais un siècle plus tard (donc plus de deux siècles après la mort du prophète – sawas), l’imam Ahmad Ibn Hanbal (m. 855, fondateur du hanbalisme), rapporte dans son Musnad quelques vingt neuf milles hadiths, si on y ajoute les autres recueils : ceux de Bukhârî, Muslim, Abu Dawud (m. 889), At Tirmidhi (m. 893), Ibn Maja (m.887) et An Nisa’i (m.916), les canoniques. Plus ceux de d’Al Darimi (m. 869), Al Daraqutni (m. 995), Al Bayhaqi (m. 1066) et quelques autres, on arrive à près d’un million de hadiths rapportés par des hommes qui ont vécu pour l’essentiel, plus de deux siècles après la mort du prophète.

Parmi ces hadiths, combien de prône du vendredi. En ne prenant en considération que la période médinoise et le calendrier hégirien, nous pouvons compter cinquante vendredis en partant de l’établissement du prophète Muhammad (sawas) à Médine et l’édification de la première mosquée, jusqu’à la date de sa mort (11 de l’hégire, 632 ap.-J .C.) soit un total d’environ onze années hégiriennes. Ce qui veut dire, cinquante prônes du vendredi prononcés par le prophète en une année. Si nous multiplions cinquante par onze années, cela nous donne un total de 550 occasions de prônes du vendredi. Même en en retirant quelques uns à l’occasion de maladies, voyages, et différents empêchements, retirons en cinquante, et pourquoi pas cent pour faire un chiffre rond. 550 moins 100, cela nous donne 450 prônes du prophète. Combien la « science » du hadith nous a apporté de ces centaines de prônes ? Deux cents, cent ? Non…un seul, Khotba Al wada’ « le prône de l’adieu », et encore, puisqu’il y a divergence dessus. Un million de hadiths (maximes et aphorismes, parfois même des extraits de prône ou des événements qui ont eu lieu pendant un prône), mais aucun prône complet. Pourtant nous ne doutons aucunement du fait que le prophète Muhammad (sawas), fidèle à sa mission et à sa prédication ait accompli sa mission. Mais seul le Coran était alors transcrit. Rien d’autre. Les hadiths tels que nous les connaissons, comptent sans doute quelques-uns que le prophète (sawas) aurait pu prononcer. Mais cela doit nous mener à une grande attention et à ne pas prendre pour « argent comptant », l’essentiel des propos qui aura pu être touché par les variations inévitables de la nature humaine, des oublis, des rajouts, des mensonges prémédités, et d’autres de bonne foi.

Dans ce contexte, comment considérer l’existence des hadiths dits « qudsi », « sacrés » ? Ces hadiths sont censés désigner les aphorismes et maximes qui expriment un message venant de Dieu, mais dont la formulation relève de la parole prophétique. Le chercheur contemporain Mohamed Amir-Moezzi a souligné la forte influence de la pensée manichéenne dans cette catégorie de hadiths. Cela mérite examen et réflexion, mais nous ne reconnaissons pas une telle distinction. La parole inspirée à Muhammad (sawas) est le Coran, tous les autres propos qu’on lui attribue, constituent ce qu’on appelle le corpus des hadiths.